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Entretien avec Elvire de Cock
accordé aux SdI en juin 2006


Peux-tu nous en dire un peu plus sur toi (parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse.)?
Bon, ça a été assez tranquille jusqu’à 18 ans. Un peu comme tout le monde. C’est quand il a fallu choisir ma voie que ça a été un peu plus… mouvementé. Je pensais sincèrement être une matheuse. Je me suis donc retrouvée en polythec’. Mais c’était vraiment trop matheux au final. Comme j’avais envie de quelque chose de plus créatif mais pas trop (parce qu’il faut trouver du boulot plus tard etc etc…), j’ai tenté architecture pendant deux ans. Je pensais que c’était un chouette compromis entre les deux. Et puis il a fallu se rendre à l’évidence. Si je m’amusais beaucoup en projet et en cours de dessin, je renâclais un peu à la tâche en physique et en chimie. Parallèlement à ces trois ans, je dessinais de plus en plus à côté et c’est assez logiquement que j’ai tenté l’examen d’entrée de St-Luc à Bruxelles, en section BD, à quelques pâtés de maison de l’école d’archi. Et là tout est allé enfin comme sur des roulettes !
Même si ces trois ans ont été un coup dans l’eau, je ne les regrette pas du tout. Ca a développé chez moi un petit côté logique, pas mal d’autocritique (ils ne sont pas tendres en archi avec les projets) et une chouette perception de l’espace qui fait que très vite j’ai réussi à bien circuler en 3D dans l’espace 2D des planches !
Sinon, presque 27 ans, difficile de donner mes passions, puisque ma passion est devenu mon métier mais j’avoue un petit faible pour l’Histoire et les grandes villes. Et je crois que ma qualité principale, c’est que j’ai énormément de mal à être de mauvaise humeur, que je me marre très facilement et que je vois plus souvent le bon côté des choses que le mauvais. Une joyeuse optimiste quoi.

Enfant, quelle lectrice étais-tu? Quels étaient alors tes auteurs favoris?
J’étais une bonne lectrice. Mais je n’avais pas non plus le virus de la lecture comme certains. Dans les lectures qui m’ont marquée, je me souviens avoir dévoré beaucoup de Roald Dahl, les Conan Doyle et les Alexandre Dumas. J’aimais bien les grandes aventures et j’avais un gros faible pour les romans historiques.

et au niveau des BD?
Très très classique ! J’ai lu et relu les Tintin. Pas mal les Astérix. Enfin, les BD qui traînaient là. Pas beaucoup d’achat en dehors. J’étais pas si BD que ça en fait. C’est venu bien plus tard.

Et à présent quels sont tes auteurs de chevet ?
En manga, je vénère Eishiiro Oda. Je suis complètement accro à One Piece au point d’en faire très régulièrement des fanarts (c’est dire…). Y a Kubo Tite & Samura qui me rendent un peu fan aussi. Et puis Otomo et Miyazaki (un peu comme tout le monde !). Je suis rentrée dans la BD par le manga – ça laisse des traces ! Plus près de chez nous, Nicolas de Crécy, Claire Wendling, Guibert, Lepage, Thierry Robin, Trondheim,… Et euh des tas d’autres mais voilà pour les principaux !

Devenir dessinatrice de BD, était-ce un rêve de gosse?
Pas du tout. C’est vrai que très tôt, je suis allée à des cours de dessin mais c’était très traditionnel dans l’approche. Ce qui n’est pas plus mal puisque je crois que ça m’a donné quelques bases solides pour la suite. Y a des trucs qui étaient déjà « là » quand j’ai commencé à dessiner plus BD.


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock


Qu’est ce qui te passionne dans le métier d’illustratrice? Comment définirais-tu le métier de dessinateur de BD?
Ouh la la. Y a tellement de choses qui me passionnent. C’est presque différent à chaque dessin ! Ca a forcément un petit côté magique. On a une image en tête plus ou moins précise. On cherche de la doc pour la réaliser, grâce à ça on est amené à s’intéresser à des choses auxquelles on n’aurait pas forcément fait attention autrement. Puis il y a la réalisation. Le crayon, les expérimentations, la couleur. Haaa la couleur ! Et la chose prend forme, *presque* pouf, comme ça. Bon parfois, la lutte est âpre et on foire tout mais il en reste toujours quelque chose. Des idées ou des pistes pour la suite. Et on repart de plus belle !
Pour la BD, c’est un peu différent. C’est un travail plus ardu, avec des tonnes de paramètres supplémentaires (on est deux pour commencer !) et c’est forcément plus prise de tête. Prise de tête dans le bon sens du terme hein ! C’est juste qu’il faut plus réfléchir, que ça dure plus longtemps et que c’est parfois difficile de ne pas se faire vampiriser par le dessin pur et ainsi perdre de vue l’histoire et la narration. Mais c’est la même magie : le passage des idées de la tête sur le papier. Avec des dessins… et des dialogues en plus !

Ton premier album, Tir Nan Og, vient de sortir. Scénarisé par le talentueux Fabrice Collin. Il se propose de nous entraîner à New York, entre histoire et mythe… Quel effet cela fait-il de travailler sur son premier album avec un écrivain si talentueux dont c’est aussi le première BD? Comment est né ce projet?
Le projet est né aux Humanos même. Après ma dernière année à St-Luc, je suis allé à Angoulême avec mon book et j’ai fait la traditionnelle tournée des éditeurs. Mon boulot a plu aux Humanos. De son côté Fabrice avait aussi des contacts avec eux. Et il se trouve que mes envies de 19ème siècle plein de gosses rejoignaient certaines de ses envies d’histoire. L’éditeur nous a donc mariés et ainsi est né le projet. Comme ça branchait Fabrice d’avoir une « base graphique» pour l’histoire, j’ai créé quelques gamins, dessiné quelques décors et il est parti sur ça, en faisant quelque chose à sa sauce. Voilà pour la naissance.
Après, c’est excessivement agréable de travailler sur son scénario. Tout ce qui s’y trouve titille énormément mon imaginaire ! D’une manière générale, j’ai une très bonne affinité avec les mots de Fabrice et les images débarquent à toute allure après seulement une lecture. Il me laisse aussi énormément de liberté et je peux souvent faire un peu ce que je veux selon mes envies narratives et graphiques. Bref, en un mot, je suis très contente de travailler avec lui et je crois qu’on forme une bonne équipe !

Justement, comment fonctionne votre petite équipe? Du synopsis au scénario, du découpage au dessin, en passant par la mise en couleur, quelles furent les différentes étapes de l’élaboration de cet album?
Tout d’abord, il y a eu une très longue phase de recherches pour moi. Fabrice élaborait le scénar de son côté tandis que moi j’avais plus affaire aux humanos, via Nicolas Forsans. Parce que, même s’il y avait des bonnes choses dans mon dessin, il y avait quand même une flopée de choses à mettre au point graphiquement, une ville tentaculaire à appréhender et tout plein d’autres « petites » choses comme ça.
Une fois le scénar terminé, on a attaqué le story-board. Fabrice m’en fournissait un découpé case par case mais c’était à moi de trouver l’agencement et les prises de vue de la page. Ce n’était pas évident au début parce que les textes de Fabrice sont très denses, bourrés d’infos. C’est génial parce que ça permet de rentrer directement dans l’histoire, comme si on lisait un roman mais en même temps, au début, j’avais parfois du mal à faire les choix de ce qu’il fallait montrer et de ce que je pouvais laisser hors champ.
J’ai aussi réalisé assez vite les premières planches, pour qu’on repère éventuellement les petits problèmes. C’était mes premières vraies planches après tout ! smiley
Une fois les petits réglages du départ accomplis, et bien ça a fonctionné assez classiquement. Découpage de l’album, discussions, modifs, crayonnés des planches, discussions, modifs,… et comme ça jusqu’à la mise en couleur.


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock


Tes mises en couleur sont de toutes beauté et contribue grandement à l’ambiance étrange qui règne dans cet album… quelle(s) technique(s) utilises-tu?
Je bosse mes couleurs avec Photoshop. C’est un outil formidable qui répond bien à mes envies colorées tout en me facilitant un maximum la vie. Cependant, en toute objectivité, je préfère les mises en couleur traditionnelles. Il y a une chaleur et une matière dans l’aquarelle ou l’acrylique qu’il est très difficile de reproduire à l’ordi. Alors du coup, j’essaye de marier les deux pour retrouver ce feeling traditionnel. Je n’encre pas, je laisse le crayon pour récupérer un peu de matière. Parfois j’essaye de mettre aussi un lavis mais c’est encore un peu trop aléatoire comme technique. J’essaye aussi de travailler case par case pour permettre aux tons de s’enrichir et, ainsi, ne pas partir tout le temps du même aplat coloré.
Et puis, j’essaye aussi de trouver des palettes de couleurs un peu originales. J’aime beaucoup les verts de gris, les bruns et les ambiances de clair obscur comme dans les tableaux des maîtres flamands. Je suis fascinée par la lumière et le rôle narratif qu’elle peut avoir. C’est pour ça que très vite je mets des valeurs sur mon découpage, parce que j’essaye au maximum de construire mon image en fonction de la couleur et des éclairages.


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock



© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock



© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock


Quel est le moment que tu préfères dans l’élaboration d’une bande dessinée?
Et bien… La couleur ! Mais on s’en doutait peut-être smiley
En fait, j’aime toutes les étapes, pour différentes raisons mais la couleur, c’est vraiment le moment où tout se met en place de manière assez instinctive. Le découpage et le crayonné ont leur lot de souffrance et de jurons. Il faut réfléchir, gommer, parfois se battre en recommençant cinq fois une jambe qui ne veut pas rentrer dans la case.
Mais la couleur… Oui, ça coule littéralement tout seul. C’est un véritable moment de détente et d’amusement. Nicolas dit que c’est mon truc. C’est que ça doit être vrai !!

On retrouve dans l’album des thèmes que Fabrice Collin avait développé pour le Jeu de Rôle. As-tu toi même pratiqué le JdR?
Ca m’aurait bien tenté mais je n’ai jamais rencontré les personnes qu’il fallait. Les rares expériences que j’ai eu se sont révélées très… cafouilleuses et pas dépaysantes pour un sou!


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock


Votre travail graphique sur l’Irlande et New York a-t-il nécessité des recherches documentaires? Quelles ont été vos pistes de recherche?
Pas mal, oui. Je n’ai jamais acheté autant de bouquins que ces deux dernières années. J’ai une dizaine de livres sur New York maintenant !
Avec Fabrice, on était trèèès d’accord sur le fait que New York était réellement un personnage à part entière et qu’il ne fallait pas le négliger. Alors on a essayé de coller le plus possible à ce qui existait à l’époque. Cependant, ce n’est pas une période facile que celle de 1899. A part la statue de la liberté et le Brooklyn Bridge, aucun des gratte-ciels célèbres n’était construit. De plus, j’ai mis un petit temps à réaliser la « hauteur» véritable de la skyline new-yorkaise. Ce n’était plus les maisons basses de Gangs of New York mais ce n’était pas encore le Flatiron building non plus.
Et puis concernant la doc en général, Fabrice est un scénariste en or. Lorsqu’il me parlait d’un truc, j’avais souvent en prime des liens solides vers des pages sur le net. Ce qui me faisait économiser beaucoup de temps et me permettait de très vite me faire une idée du contexte de la séquence.


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock


Si tu avais un ou deux ouvrages sur ce New-York d’avant 1900 à conseiller à ceux qui voudrait mieux connaître cette épouqe, quels seraient-ils?
Difficile question… Je n’en ai pas réellement sur cette époque. Il y a bien New York 1900: Metropolitan Architecture and Urbanism 1890-1915…Mais c’est un livre essentiellement sur l’urbanisme et l’architecture. En anglais. Et assez pointu.
En général, il faut se rabattre sur des ouvrages plus généraux sur New York pour l’avant 1900 parce que les bouquins font beaucoup plus la part belle au XXème siècle.
Non, je n’ai pas de titres vraiment spécifiques à donner autres que ceux qu’on trouve facilement dans toute librairie pas trop mal achalandée…


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock


Lorsque tu t’atèles à la réalisation d’une BD, dessines tu les planches dans l’ordre chronologique ou par séquences en fonction de tes envies du moment?
Idéalement, j’aime travailler dans l’ordre chronologique. Ca force à avancer et à ne pas remettre au lendemain des séquences qui sont plus effrayantes que d’autres en terme de dessin. Mais bon, parfois, d’en sauter une pour en faire une autre qui fait plus envie, ce n’est pas plus mal. C’est ça qui est parfois compliqué en dessin (du moins pour une jeune dessinatrice comme moi qui « rame » encore sur certains trucs), c’est de savoir quand c’est bon de se forcer un peu et quand il vaut mieux faire quelque chose qui fait plus envie parce que, justement, ça sert à rien de se forcer et qu’on obtiendra rien de bon.

De nombreux dessinateurs aiment à travailler en musique afin de s’immerger dans l’atmosphère de la planche qu’ils sont en train de dessiner… Qu’en est-il pour toi?
Oui et non. Disons que ça va plus de pair avec mon humeur plutôt qu’avec ce que je dessine. Y a des jours où l’on a plus d’énergie que d’autres et un bon cd de rock donne encore plus de pêche. D’autres jours par contre, quand la concentration et l’inspiration se font plus capricieuses, des musiques plus calmes qui s’écoutent sans vraiment s’entendre, c’est pas mal. Et parfois, j’aime aussi écouter l’extérieur tout simplement. Les bruits de la ville rappellent qu’on n’est pas tout seul et que la vie ne s’est pas arrêtée dehors smiley


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock


Dans quel état d’esprit étais-tu il y a quelques jours lors de la sortie de ton premier album?
Haha. Et bien je sais pas trop !! Je crois que le bouclage de l’album a été plus marquant que sa sortie même. Parce que je bossais comme une folle et que du jour au lendemain, je me suis retrouvée toute perdue, sans rien à faire. Bon, bien sûr, la sortie de l’album a eu son petit lot d’émotions, hein ! Ca fait drôle de le voir comme ça sur les rayons. J’avais même le trac de l’ouvrir. Mais ça passe et les bons vieux réflexes reviennent très vite, genre ça et ça, faut pas le refaire pour le second !!

Dans le même ordre d’idée : comment s’est passée ta première séance de dédicaces? Forte en émotions ?
Ca s’est très bien passé ! J’étais beaucoup plus détendue que je ne l’aurais pensé et, surtout, j’arrive à dessiner ET parler sans stresser ! Les gens étaient aussi très sympathiques. Bref, c’était plutôt un « très agréable moment » plutôt qu’un moment « fort en émotions ». Ce qui n’est pas plus mal, je préfère le zen à l’intense smiley


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock


Quels sont tes projets à court et moyen terme?
Eh bien…. Terminer le plus vite possible le second tome de Tir Nan Og. On a plutôt un bon retour sur l’album mais la question récurrente c’est « à quand la suite ? ». Alors ce sera du New York à plein temps encore pendant plusieurs mois !

Peux tu nous parler en deux mots de tes derniers coups de cœur (romans, bd, ciné, musique…) ?
Alors là dernièrement, je me suis enfin procurée le premier album de A Perfect Circle. Et je sens qu’il va bien m’aider dans la réalisation de mes prochaines planches. C’est juste sombre et ambiance comme il faut. Avec un je ne sais quoi d’entraînant et de violent à la fois. Bref, le genre d’album qui charrie un univers bien à lui.
En bouquin, je lis Moon Palace de Paul Auster. Et je sens que ça va faire un Paul Auster de plus que j’aime.
Enfin, mon dernier coup de cœur en BD, c’est Miss Pas Touche de Hubert et Kerascoët.


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock


Y a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre ?
S’il y en une, je ne vois pas laquelle ! smiley

Pour finir et afin de mieux te connaître, voici un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Haaa, le questionnaire chinois of Doom ! Bon. On va essayer… même si je ne sais jamais quoi répondre… !


Si tu étais…

une créature mythologique : un faune
un personnage biblique : Je me sens un peu David contre Goliath ces derniers temps…
un personnage de roman : … peut-être un peu du docteur Watson
un personnage historique : Je sèche smiley
un personnage de BD : Lapinot… je crois. En tout cas, je connais plein de Richard. Ca compte ?
un personnage de théâtre: Une Elvire, n’importe laquelle – juste parce que j’aime bien mon prénom
une œuvre humaine: Un pont
un tableau célèbre: Champs de blé avec vol de corbeaux de Van Gogh
un chanteur ou un groupe de musique : aucun – je chante comme une casserole et j’interprète ça comme un Signe.

Un immense merci pour ce long et sympathique entretien!


© Les Humanoïdes Associés / Elvire de Cock
Le Korrigan