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Entretien avec Clod
accordé aux SdI en novembre 2006


Tout d'abord, un grand merci de vous prêter au petit jeu de l'interview !
Pas de problème. Tout l'honneur est pour moi !

Pour commencer, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous (parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse.)?
Je suis autodidacte dans le dessin et le scénario. J'ai fait des études de technicien. J'ai travaillé huit ans en entreprise pour enfin me consacrer à plein temps au dessin et entre autre à la bande dessinée. Aujourd'hui, je travaille pour la presse l'édition scolaire et la communication. Quand il me reste un peu de temps, je dessine mes projets d'album et travaille mes scénarii.

Enfant, quelle lecteur étiez-vous? Quels étaient alors vos auteurs favoris?
Je suis venu tard à la lecture. Tout d'abord la bande dessinée avec Tintin, Lucky Luke et Astérix. Ce sont vraiment là mes premières lectures et mes premiers plaisirs de lecture. La lecture de romans est venu assez tard aussi, vers 19 ans. On peut dire que jusqu'à 20 ans je n'avais pas lu grand-chose, ni en littérature, ni en bande dessinée. Je me suis rattrapé depuis en cours de lecture intensive.



Et à présent quels sont vos auteurs de chevet ?
J'aime beaucoup de chose en matière de bande dessinée. Je dois avouer que mes préférences vont vers des auteurs dont l'approche du dessin est « graphique ». J'aime quand les dessins sont expressifs voire expressionnistes, que les compositions sont soignées, que le style est fort. Parmi quelques uns de mes favoris : Tardi, Mattoti, Bataglia, David B, Foerster et… Benoît Frébourg ! Mais la liste serait trop longue.
Je fais aussi très attention à la narration, je trouve qu'il y a beaucoup de bande dessinées décevantes d'un point de vue scénaristique. Hergé par exemple est un formidable raconteur d'histoire. Mes sources d'inspiration ne s'arrêtent pas à la bande dessinée. Je puise beaucoup dans la peinture, l'illustration et la littérature. Toutes les images m'intéressent, j'ai un peu plus de mal avec la photographie, je ne sais pas pourquoi. Pourtant je la crois autant digne d'intérêt que n'importe autre image. Il faudrait que je me force un peu !

Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse?
Pas du tout. J'ai longtemps pensé qu'être dessinateur de bande dessinée ce n'était pas pour moi et pour cause, avec un BTS électrotechnique ce n'est pas la voie royale. Surtout, je ne me posait même pas la question. Vers 25 ans, je me suis dit : bon, je n'aime pas mon boulot, j'aime dessiner, pourquoi pas essayer de vivre de ce que j'aime. J'ai mis cinq ans à préparer le terrain et à 30 ans j'ai franchi le cap. C'est un peu tard, mais il m'aura fallut y arriver seul et c'était sans doute un cheminement nécessaire pour moi. Six ans plus tard (les gens feront le calcul de mon age) je vis entièrement du dessin et je connais mon bonheur. Deux albums cette année c'est pas mal (Le Procès chez Akiléos et Le Testament du Docteur Weiss chez Petit à Petit) !

D’illustrateur à auteur, comment avez-vous sauté le pas?
Je n'ai pas sauté de pas, j'ai toujours fait les deux en même temps. Depuis que je suis illustrateur, j'ai toujours voulu faire des albums. En parallèle des commandes d'illustration, je développais des projets d'album, tant au scénario qu'au dessin. Le fait est qu'il m'a fallu plus de temps pour être édité que pour avoir du boulot en tant qu'illustrateur. Aujourd'hui je continue sur les deux tableaux, les albums de bande dessinée d'un côté et les illustrations de commandes de l'autre. J'aime assez bien ce fonctionnement. L'un est complémentaire de l'autre et avec le temps, j'ai l'impression que tout converge « artistiquement » parlant.

On vous connaissez dessinateur, vous voilà devenu scénariste. Comment définiriez-vous le métier d’auteur de BD? Quelles sont les grandes joies et les grands écueil de ce noble métier?
Je me considère plus comme illustrateur que comme auteur de bande dessinée. Je suis un illustrateur qui, entre autre, fait des bandes dessinées. Pour moi, faire de la bande dessinée (au dessin ou au scénario) c'est avant tout de raconter des histoires comme j'ai envie et non pas comme le marché ou les éditeurs le demandent. La bande dessinée représente environ 2% de mes revenus pour 50% de mon temps de travail. A ce prix là je veux être libre de faire les choses comme je l'entends. Si je trouve des éditeurs tant mieux sinon, tant pis. J'en connais beaucoup des auteurs aigris d'avoir fait tant de concessions pour la bande dessinée. Grâce à mon travail d'illustrateur, je peux être « détaché » de mon travail d'auteur. Moralement, je ne pourrai pas ne faire que de la bande dessinée ; c'est un point de vue personnel, à chacun de trouver son équilibre.

Par contre, ma plus grande joie est l'objet final qu'est le livre. Ca me paraît magique. J'ai encore du mal à croire qu'il y a des livres de moi dans les librairies ou les médiathèques. Je ne m'y fais pas. Mais le vrai bonheur est de se lever tous les matins et de se dire qu'aujourd'hui encore je fais ce que j'aime et ça c'est irremplaçable.


Comment est né votre premier album?
Mon premier album, c'est le Procès. Il est né d'une passion pour Kafka. J'ai toujours voulu adapter le Procès. Après avoir rencontré Céka, le scénariste, je lui ai proposé une collaboration sur cette adaptation. Je voulais le regard de quelqu'un d'autre sur le roman de Kafka. On a donc monté le projet. On ne l'a présenté qu'à deux éditeurs, le premier l'a refusé, le second était emballé par l'idée et séduit pas le dessin. On a signé tout de suite sans se poser de question. J'ai mis deux ans pour le dessiner (pépère). J'en suis très fier même si je ne peux plus le voir, car je ne vois que les défauts. Mais mon vrai premier album est Le Testament du Docteur Weiss, car il a été signé avant le Procès.

Qu’est ce qui vous passionne dans l’œuvre de Kafka? Comment s’empare-t-on d’une œuvre comme le Procès pour l’adapter en BD?
Tout d’abord, c’est l’univers absurde et tordu qu’on aime chez Kafka. Ensuite et à force de lecture on se rend compte qu’il y a beaucoup de profondeur dans son œuvre. Le Procès par exemple est un roman philosophique. Dans cet ouvrage Kafka pose les questions essentielles sur l’existence, la vie, la mort, la croyance…etc. Ce n’est pas pour rien que plusieurs milliers d’essais ont tenté de donner une signification au Procès. En réalité, il n’y a pas un sens mais une multitude d’interprétations possibles. C’est qui en fait une œuvre intemporelle. L’adapté en BD ne nous a pas semblé compliquée, on avons nous aussi donner notre interprétation. Nous avons vu dans le Procès une parabole de l’existence humaine, notre approche est existentielle, le tout avec un récit très simple au fond, celui d’un homme accusé et condamné pour un crime dont il ignore tout.



Votre adaptation a cherché à mettre en avant une facette méconnue de cet écrivain tchèque, son humour grinçant et un sens de l’absurde poussé à son paroxysme… Comment as-tu élaboré l’ambiance graphique de cette adaptation?
Le Procès a été écrit il y a presque cent ans sous l’empire Austro-Hongrois. Aujourd’hui, une bonne partie des situations décrites dans le roman nous échappent, puisque nous sommes ni tchèques, ni sous l’empire Austro-Hongrois, ni en 1914. Sans parler des traductions qui ne peuvent rendre l’exactitude du vocabulaire et des nuances de langage de l’époque. Ce qu’on sait par contre c’est que quand Kafka lisait des passages de son roman en public, les gens riaient. Si l’on prête bien attention au récit certains passages s’apparentent à du burlesque. Nous avons tenté d’orienter notre adaptation de ce côté-ci, mais pas seulement…
Quant à l’approche graphique, je ne me suis pas posé de question, j’ai tellement digéré l’œuvre, que pour moi, les décors et situations me paraissaient évidents. Je serais moins à l’aise avec une charge de cavalerie pendant les guerres napoléoniennes (rire). J’ai aussi fait appel à des clichés kafkaesques, telles que les salles remplies de bureaux, les archives débordantes…


Comment est né ce projet? Comment s’est faite la rencontre avec Benoît Frébourg, dont on avait pu apprécier les travaux à travers des albums collectifs édités par Petit à Petit?
Nous nous sommes rencontrés chez Petit à Petit pour les collectifs. Le scénario était déjà écrit et l’univers de Benoît correspondait tout à fait. C’est donc naturellement que notre collaboration est née. Olivier Petit (le patron de Petit à Petit) nous a fait confiance et nous a accompagné jusqu’à la sortie de l’album.

Georg Weiss, personnage central du récit, reste pour le moins énigmatique… Aura-t-on l’occasion d’en apprendre plus sur lui lors de la lecture d’un nouveau carnet? Comment avez-vous élaboré cet intriguant personnage?
Nous travaillons actuellement sur la suite. Benoît a besoin d’un peu de temps pour appréhender le dessins. Donc on y va tranquillement. Il s’agit de bien faire les choses et non pas dans la précipitation pour sortir à tout prix un album par an. Il y aura donc une suite (un scoop : l’histoire se déroulera à Paris). L’idée est de créer une série avec chaque fois une histoire qui se termine, un peu comme Tintin. Par contre au fur et à mesure on découvrira la vie romanesque et romantique de Georg Weiss, ce beau brun ténébreux (rire). L’époque et le personnage permettent d’envisager plein d’aventures sombres et fantastiques.

L’époque justement… Pourquoi avoir choisi cette époque-ci ?
Le XIXe siècle me passionne, son histoire, sa littérature… surtout vers la fin et jusqu’à la Grande Guerre. Attention, je préfère quand même vivre à notre époque. Ce que j’aime au tournant de ces deux siècles, c’est l’incroyable effervescence dans tous les domaines. Il y a eu à cette époque beaucoup de bouleversements. Notre société occidentale a été profondément bousculée et cela donne des perspectives romanesques presque illimitées. Avec un peu de recul, on trouvera peut-être notre société actuelle ultra-intéressante. Sûrement même compte-tenu des récents événements. Mais j’ai du mal avec notre époque. Je ne suis pas un raconteur d’histoire contemporaine.



Du synopsis au scénario, du découpage au dessin, en passant par la mise en couleur, quelles furent les différentes étapes de l’élaboration de cet album? Comment avez-vous organisé votre travail avec Benoît Frébourg?
Dans l’ordre il y a eu l’élaboration de l’histoire avec les tenants et les aboutissants, le synopsis, le découpage avec les dialogues. Tout cela a été fait sans savoir qui allait dessiner l’histoire. Ensuite, Benoît a pris le relais et a commencé à travailler sur certaines scènes. Quelques discussions et échanges nous on permis d’améliorer l’histoire. Pour le tome 2, nous élaborons l’histoire ensemble, pour prendre en compte les envies de Benoît. Ce sera un travail plus en osmose.

Serait-il possible de voire le découpage pour une planche donnée, ainsi que pourquoi pas (on peut toujours rêver !) les différentes étapes d’élaboration, du rough au crayonné ne passant par l’encrage et la mise en couleur…
Ah ça je crois que ce sera difficile. D’une part parce que je ne suis pas le dessinateur. D’autre part parce que nous habitons loin l’un de l’autre et que Benoît n’est pas équipé en informatique. Tout ça complique un peu la tâche. Mais au fond ce n’est pas plus mal, car il faut garder un peu de mystère au processus de création… non ?

Le fait que tu sois toi même dessinateur a-t-il influencé ta façon de rédiger le scénario?
Je ne crois pas. Ni sur le fond, ni sur la forme. J’ai raconté une histoire comme j’avais envie, sans tenir compte des difficultés graphiques éventuelles. Le scénario se présentait sous forme de découpage écrit. Je ne veux surtout pas influencer le dessinateur par un découpage graphique. En tant que dessinateur, je crois que je n’aimerais pas travailler sur un découpage graphique d’un scénario, j’aurais l’impression d’être trop orienté.



Quel est le moment que tu préfères dans l’élaboration d’une bande dessinée?
J’allais dire que mon moment préféré c’est le moment où j’ai l’album entre les mains pour la première fois. Mais finalement non. Je me souviens d’un sentiment aigre-doux lors de la sortie du Procès. A la fois fier, content et désespéré de tant d’imperfection. J’ai préféré la sortie du Testament en tant que scénariste, on se sent moins en première ligne. J’aime bien travailler sur les premières pages, on se dit alors que tout est possible et on place la barre haut. Plus on avance, plus on progresse et plus on se rend compte qu’on est limité. La dernière page est une victoire sur nous même. On a été capable d’aller au bout d’un projet et croyez-moi ce n’est pas toujours facile d’aller jusqu’au bout.

En tant qu’auteur, comment vivez-vous les séances de dédicaces?
Très bien, j’aime beaucoup la rencontre avec les gens. Je tombe pour la plupart du temps sur des gens sympathiques. Je regrette toujours un peu de m’éloigner de ma petite famille le week-end pour aller dans les salons. Mais, c’est quand même important d’aller à la rencontre du public.

Quels sont, tous genre confondus, vos derniers coups de cœur (ciné, bd, romans, musique…)
Commençons par la bande dessinée, puisque c’est ce qui nous occupe. J’ai beaucoup aimé le Landru de Chabouté, Le dernier Professeur Bell de Tanquerelle, Victor Lalouz de Diego Aranega, Le Secret de l’Etrangleur de Tardi. Question littérature, je viens de relire Crime et Châtiment de Dostoïevski (un véritable chef-d’œuvre), L’homme aux Cercles Bleus de Vargas, La Cousine Bette de Balzac, Je, François Villon de Jean Teulé (excellent) et je suis en train de lire Monsieur Sommer de Süskind illustré par Sempé (dont j’adore les dessins). Les autres je n’en parle pas. Pour le Ciné, j’y vais beaucoup moins qu’avant (vie de famille oblige), mais un film que j’ai bien aimé : Moi, Toi et tous les Autres (Déjà un an !!!). Pour la musique, j’écoute en ce moment beaucoup l’album de Thom Yorke, le dernier Nick Cave, le dernier Ben Harper, le dernier Brel (1977), la musique des Tonton Flingueurs, un album de Quincy Jones dont j’ai oublié le titre et une compile de Satie. Mais surtout, surtout, j’écoute énormément la radio.

Pouvez-vous nous en dire plus sur vos projets présents et à venir?
Je dessine actuellement une deuxième adaptation avec toujours Céka au scénario. Sortie prévue en 2007. Ensuite j’arrête les adaptations littéraires. Nous avons déjà un projet de création avec Céka. Je travaille aussi le scénario pour la suite de Weiss avec Benoît au dessin. En parallèle et quand j’ai un peu de temps je construis le scénario d’un roman graphique que j’aimerai dessiner. Mais pour l’instant je n’en suis qu’à structurer mes idées pour charpenter l’histoire. Je ne sais pas encore comment ni pour qui faire ce travail. J’avance sans me poser de question et un jour ce sera prêt. J’ai une histoire de bande dessinée jeunesse dont le découpage est prêt, celui-là aussi je me le garde au chaud. Un jour je m’y mettrai… Le problème dans tout ça c’est de trouver du temps. Les idées et les projets sont là, mais il faut du temps pour les développer.



Y a-t-il une question que je n’ai pas posé et à laquelle tu souhaiterais néanmoins répondre?
Non. J’ai déjà trop parlé de moi, les gens vont se lasser !

Pour finir et afin de mieux te connaître et comme le veut la tradition des SdI, voici un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
J’aime bien cet exercice. C’est le genre de questions où l’on a du mal à choisir les réponses. Il y a un côté irrémédiable, une fois la réponse donnée ; c’est angoissant. Et l’on y passe beaucoup de temps aussi.

Une créature mythologique : Dracula le Vampire.
Un personnage de cinéma : Monsieur Hulot.
Un personnage biblique : Adan et Eve.
Un personnage de roman : Barnamu dans le Voyage au bout de la nuit de Céline.
Un personnage de BD : Adèle Blanc-Sec.
Un personnage de théâtre : Knock.
Une œuvre humaine : le Palais du facteur Cheval.
Une recette culinaire : impossible de choisir, j’adore manger et j’aime presque tout !

Un dernier mot pour la postérité?
De mémoire : « Rien n’est important puisque tout passe. » (Ionesco dans Le Solitaire)


© Librairie Temps Libre-Paris
Le Korrigan



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