A l'occasion de la parution du second tome d'A quatre mains adapté du roman éponyme de Paco Ignacio Taibo 2, Améziane nous a accordé un sympathique entretien.
Pour commencer, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous (parcours, études, âges et qualités, passions, numéro de carte bleue ou de compte numéroté en suisse.)?
Je suis né dans le début de années soixante-dix, donc cela fait de moi le fils spirituel de STARSKY & HUTCH,GOLDORAK et SPIDERMAN.
Mon parcours est assez simple. Je suis autodidacte donc mon parcours va de mon atelier jusqu'au magasin de comics, en passant par la bibliothèque et le cinéma du coin. Ma mère (dans son infinie sagesse) m'a juste obligé à
apprendre un vrai "métier" et j'ai choisi le graphisme, ce qui n'est pas très éloigné du dessin quand on pense. Cela m'a d'ailleurs beaucoup servi dans "à 4 MAINS" dans le travail à l'ordinateur.
©Améziane / Emmanuel Proust Editions
Enfant, quel lecteur étiez-vous? Quels étaient alors vos auteurs favoris?
Petit, j'ai dû choisir un jour entre le STRANGE n°94 et un vieux TINTIN… Malheureusement pour lui, le petit reporter puceau a perdu face aux prouesses de l'Homme Araignée et ses super-copines bien roulées. Depuis je fais le grand écart entre le Comics et le Manga, tout en travaillant en France.
Quand mes potes lisaient THORGAL, je dévorais RONIN de MILLER. Je crois que là, la rupture avec la BD franco-belge fut fatale. J'ai mis des années à avoir du plaisir en lisant un album franco-belge.
Le premier dessinateur dont j'ai remarqué suffisamment le dessin pour me rappeler son nom, c'était FRANK MILLER sur DAREDEVIL dans STRANGE. Le coté polar noir de son DAREDEVIL m'avait soufflé. Son WOLVERINE m'a donné envie de me renseigner sur le Japon, son ELEKTRA ASSASSIN (avec BILL SIENKIEWCZ) m'a montré la voie vers une BD adulte graphiquement riche mêlant peinture et art graphique.
J'aimais bien aussi JOHN BYRNE, JOHN ROMITA et GIL KANE mais je lisais tout ce qui me tombait sous la main comme comics traduits. Quand j'ai commencé à les lire en anglais, en version originales, j'ai halluciné la censure qui existait en France dans les publications pour la jeunesse. Ces barbares n'avaient même pas publié la fin de BORN AGAIN tant l'histoire était sombre pour eux.
C'était aussi un bon moment pour lire les comics à l'époque, le DARK KNIGHT et THE WATCHMEN venaient juste de cartonner et il y avait pleins de bons trucs à lire.
Et puis j'ai eu deux gros chocs graphiques. ELEKTRA ASSASSIN et AKIRA.
Depuis je cherche un moyen de lier ces deux influences majeurs mais c'est un peu plus dur que prévu…
©Améziane / Emmanuel Proust Editions
Et à présent quels sont vos auteurs de chevet ?
Ouh là, une réponse qui va prendre de la place alors je vais faire court.
BRIAN AZZARELLO et EDUARDO RISSO,la meilleure équipe du moment avec leur 100 BULLETS. je suis raide dingue de leur travail, ils sont au TOP depuis 5 ans.
Sinon,
KENT WILLIAMS, MIGNOLA, MOEBIUS, CORBEN, PAUL POPE, MARCELO FRUSIN, ALEX TOTH, DAVID MAZZUCCHELLI, DARWYN COOKE, JAIME HEWLETT, GUY DAVIS, JAVIER PULIDO, WARREN ELLIS, PETER MILIGAN, KYLE BAKER, JOSE MUNOZ, WILL EISNER et HUGO PRATT.
MEZZO, VATINE et DAVID B chez les français. BLUTCH et DE CRECY (plus pour le dessin que le scénario).
Mon MANGA préféré, c'est VAGABONG de TAKEHIKO INOUE. Sinon je suis un grand FAN de AKIRA, auquel je voue un culte particulier. Et je dévore tout ce que je peux trouver de MATSUMOTO TAYO.
Sinon en vrac,
SERGIO LEONE et MARTIN SCORESE. EGON SCHIELE et KLIMT.TSUKIOKA YOSHITOSHI et un paquet de dessinateursjaponais. DIEGO RIVERA et SIQUIEROS et leurs potes les muralistes mexicains. tous les affichistes de l'ESPAGNE REVOLUTIONNAIRE des années '30, SIDNET LUMET, TAKESHI KITANO, TINA MODOTTI, Paco Ignacio Taibo 2, Luis Sepulveda, Garth Ennis, Baru, Edward Bunker, Mattotti, Geoff Darrow, Mignola, Alan Moore,David Llyod, Dave Gibbons, Kevin Nowlan, Woody Allen,Won Kar Wai, George Clonney, Soderbergh, Tsui Hark,Bertrand Blier, Dupontel, Sam Pekinpah, Stanley Tucci,Joe Carnahan, Darren Arronofsky, Oliver Stone, Francis Coppola, Orson Welles, Trey Parker & Stone, Jim henson's Muppet show, Bruce Lee, Dirty Dozen, Clint Eastwood, ROBERT ALTMAN…et chevy chase
Devenir auteur de BD, était-ce un rêve de gosse? Est-ce que cela a relevé du parcours du combattant?
Je savais ce que je voulais et j'ai travaillé dur pour l'avoir. Le moment le plus difficile ça a été de lâcher le boulot salarié (début décembre 2001) pour me lancer dans l'inconnu et signer un album (en février 2002). Mais comme je me suis fait virer de mon job de merde… donc non, ça a pas été trop long. J'ai signé mon premier album un mois avant mes 30 ans. C'est tard pour commencer mais j'avais fait un paquet de trucs avant (illustration, direction artistique, graphisme, presse, pub, auto-édition…).
©Améziane / Emmanuel Proust Editions
Pour votre second album, vous vous êtes attaqué à l’un des auteurs les plus géniaux de sa génération, j’ai nommé Paco Ignacio Taibo II… Quand j’ai pour la première fois entendu parler de l’adaptation BD d’ « à quatre mains », j’avoue m’être interrogé sur la forme que pouvait prendre un tel album, tant est riche la prose de cet auteur… Comment est né ce projet aussi fou que pharaonique?
Paco est mon auteur préféré. « à 4 mains» est mon bouquin préféré.
Je suis mon dessinateur préféré (enfin presque…) Pourquoi pas réunir tout ce beau monde dans un seul projet ambitieux ? ouais… hein pourquoi pas ?
D'abord pour s'attaquer à ce projet faut être un peu fou, avoir beaucoup de temps de libre et un sacré niveau technique. Ben 2 sur 3, cela me paraissait une bonne idée au début. Alors j'ai bossé dur pour avoir le niveau de base pour gérer une narration non-linéaire ainsi que plusieurs styles graphiques.
Quand j'ai senti que j'y étais presque, j'ai cherché le contact direct de PACO en baratinant tout le monde autour de moi comme l'aurait fait FLETCH (en mettant bien sûr l'addition sur le compte des UNDERHILL) et j'ai réussi à lui envoyer un mail début juillet 2000, lui disant que je voulais faire de la BD avec lui et son livre favori, le tout dans un mail traduit avec les pieds dans 3 langues avec ALTAVISTA BABELFISH TRANSLATION, un massacre.
Il m'a demandé d'arrêter les traductions de merde sur le champs et m'a donné un rendez-vous chez lui… à Mexico. Coup de chance, j'étais en Californie en vacance dans la famille de mon pote DAO à LOS ANGELES. J'ai aussitôt quitté cette ville pourrie pour sauter dans un avion pour Mexico City.
Une fois, chez PACO, nous avons discuter rapidement et nous nous sommes serré la main au bout de 15 minutes, nous promettant de faire le livre ensemble (septembre 2000).
Ensuite j'ai publié avec mon pote CORENTIN (www.SHTL.org) mon premier album "G.A.T.", le début d'une série de SF, qui s'est arrêtée avec la mort clinique des éditions Nuclea 2. Je me suis dis -Pourquoi pas revenir à mes amours (le polar) et enfin faire ce que je rêve de faire depuis des années : adapter "à 4 mains"-.
Une petite traversée du désert plus tard, j'ai signé notre bouquin avec EMMANUEL PROUST éditions en juin 2004 et le tome 1 est sorti en mars 2006.
Dés le départ, je ne voulais pas couper le texte de PACO, juste virer les descriptions c'est tout. Donc cela allait faire un sacré projet maousse mais ultra fidèle à l'original.
Ensuite je voulais faire vivre les différents styles narratifs du bouquin en leur donnant un style graphique propre, en fonction des persos et de l'époque. L'histoire est tellement bien, que j'aurais pu la dessiné avec de petits persos en bâtons que cela aurait été bien quand même.
Alors je me suis fais plaisir, en mettant tout ce que je savais faire au service de cette histoire.
©Améziane / Emmanuel Proust Editions
Pouvez-vous en quelques mots faire le pitch de cette série et donc par la même du roman de Paco Ignacio Taibo II?
Non. et c'est bien là, le problème…
Du synopsis à la planche finalisée, quelles sont les différentes étapes de votre travail? Paco Ignacio Taibo II a-t-il contribué à l’élaboration de la BD proprement dite?
Comme le roman est déjà écrit, c'est plus simple et plus compliqué. Plus simple parce que je sais déjà ce que vaut notre histoire. Plus compliqué par ce qu'il faut couper dans le texte de PACO.
Comme j'ai choisi de faire une adaptation ultra fidéle, le problème de la coupe du texte n'aurai pas dû être un problème... Mais je bossais sur un roman d'espionnage complexe où chaque élément a ou aura son importance! J'ai prépare des éléments dans le tome 1 qui ne trouveront une signification pour le lecteur que dans le tome 5. c'est pour cela que le tome 1 m'a pris autant de temps.
Je relis en boucle le roman et je fais des annotations pour savoir si le chapitre est important à l'intrigue et si oui quel nombre de pages dont j'aurait besoin pour l'illustrer.
Je passe des heures à faire des recherches, vu que presque tous les éléments du roman sont vrais ou auraient pu exister dans les recoins de l'Histoire. J'ai toujours été passionné d'histoire mais là vu l'étendu des connaissances requises, j'ai intérêt à bien faire mes devoirs.
Nicaragua, Espagne en 36, les dessous de la CIA, les narco-trafiqaunts mexicains, etc… J'ai dû pour le tome 1, grave bosser pour rattraper mon inculture concernant la Guerre Civile Espagnole. Et j'ai bien fait! Sinon je me serais foutu grave la honte quand j'ai présenté "à 4 mains" à des espagnols pour les 70 ans de la Guerre Civile Espagnole GIJON pendant la SEMANA NEGRA.
©Améziane / Emmanuel Proust Editions
Je découpe l'album. je le montre à PACO quand je sais où il est sur Terre au moment où j'ai fini le découpage.
PACO est content que la BD soit fidèle au roman mais iconoclaste comme il est, il veut que je malmène plus son histoire vu qu'il a confiance en moi et qu'il sait que je ne trahirais pas l'esprit d'origine.
Ensuite je file le découpage à l'éditeur et je fais les planches. PACO revoit les planches et c'est bon. Couleur, lettrage et dodo.
©Améziane / Emmanuel Proust Editions
Combien de temps passez vous à l’élaboration d’un album?
PACO rencontré en sept 2000. Contrat signé en juin 2004. Le tome 1 sorti en Mars 2006. Le tome 2 fini en novembre 2006.
En combien de tomes est prévue cette adaptation?
En 8 tomes, normalement. Je rêve d'une belle intégrable bien lourde de 800 pages. eh, eh, eh…
©Améziane / Emmanuel Proust Editions
Quelles ont été les réactions du public à cet époustouflant premier tome incroyablement fidèle au roman et dont le graphisme colle à l’ambiance étrange qui règne dans ce roman?
Permettez-moi de vous dire que c'est une excellente question et je vous remercie de l'avoir posée… Tous ceux qui connaissaient PACO avant, on adoré. Tous ceux qui l'ont lu, m'ont dit qu'ils avaient beaucoup aimé. Je n'ai eu qu'une seule critique négatif. un gars qui m'a dit que mon album ne faisant pas assez « BD ».
Pour ajouter une modeste pierre à l’édifice des louanges, le premier tome a donné envie à plusieurs de mes connaissances de lire le roman… Si ce n’est pas une réussite ça, de contribuer à faire connaître Paco Ignacio Taibo II!
Mais c'était le but. Bon, travailler sur une super histoire, ça fait jamais
du mal aussi.Je préfére néanmoins que les gens lisent les autres livres de PACO, juste histoire de garder une fraicheur quand ils vont lire notre série.Il en a écrit plus de 40, on a le choix.
Le second tome paraît prochainement… Dans quel état d’esprit êtes-vous à l’approche de sa sortie ?
Quand je sortirais de ma cure de sommeil, je serais sûrement impatient de le voir en vrai dès le 18 janvier 2007. Plus les pages avancent (190 maintenant), plus je suis à l'aise dans ce que je veux faire graphiquement : du comics!!! J'ai hâte de voir la tronche des gens quand ils vont voir le livre et ce qu'ils vont penser de notre histoire.
Le tome 2 est plus "polar", il y a plus d'action et plus d'humour.
Le tome 3 sera un mélange des 2 premiers. la moitié se passera en Espagne en 1936 et l'autre moitié en 1989 avec nos journalistes, nos dealers mex et salopards de
la CIA.
©Améziane / Emmanuel Proust Editions
une dernière question : que pensez-vous de la cuvée 2007 d'Angoulême ?
J'ai attendu pendant des années que MUNOZ soit enfin reconnu pour l'immense artiste qu'il est. je suis content.
Un manga, meilleur album de l'année, ça on vous le disait depuis des années que ces japonais sont d'un niveau exceptionnel.
BLACK HOLE, LUPUS, LE PHOTOGRAPHE : mouais, que des surprises…(rire sarcastique)
BLACK HOLE (10 tomes + intégrale), LUPUS (4 tomes), LE PHOTOGRAPHE (3 tomes)… Que des séries finies. Je croyais que les prix étaient là pour faire découvrir des oeuvres nouvelles aux lecteurs et ainsi promouvoir celles-ci. Ici, nous assistons au contraire.
LUPUS avait besoin d'un PRIX pour le premier tome pas quand une fois la série achevée.
Y a-t-il une question que je n’ai pas posée et à laquelle vous souhaiteriez néanmoins répondre ?
Non
Pour finir et afin de mieux vous connaître, un petit portrait chinois à la sauce imaginaire…
Une créature mythologique : SISYPHE, je me sens assez proche de lui parfois quand j'ai pas l'impression d'avancer dans "à 4 Mains" vu les tomes restant pour finir l'histoire.
Un personnage de cinéma : d'aprés ma douce, je ressemblerais à SYD, le
paresseux dans l'AGE DE GLACE. Moi j'aurais dis, TUCO dans le BON , LA BRUTE et LE TRUAND.
ok, il s'en prend plein la gueule , mais c'est celui qui a le plus l'air de se marrer dans la vie et il récupère quand même sa part d'or.
Un personnage biblique : j'ai même pas vu "Les dix commandements" en entier.
Un personnage de roman : LOUIE GIOVANNI dans "LA RELIGION DES LOSERS" de NICK TOSCHES. C'est un usurier raté qui n'arrive pas à se faire
rembourser ses prêts parce qu'il est trop gentil. Un gérant d'un sex-shop dont il est devenu patron, parce qu'il lui doit trop d'argent, veut monter une combine de vidéo fantasme à la demande pour les yuppies. Il demande à LOUIE GIOVANNI quel est son fantasme et il le réalisera gratos en vidéo.
LOUIE GIOVANNI répond " je veux dix mecs, je me fous comment ils sont habillés ou comment ils sont gaulés mais je veux qu'ils me remboursent ma thune. c'est ça, mon rêve. "… ha ha ha… j'adore les losers.
Un personnage de BD : Un arabe dans un bouquin de BARU.
Un personnage comics : HUMAN TARGET alias CHRISTOPHER CHANCE, capable de prendre l'identité de n'importe quelle personne vivante.
Un personnage de théâtre : Le souffleur.
Une œuvre humaine : Il n'y a pas d'oeuvre humaine qui n'a pas necessité des milliers de morts ; les pyramides, le barrage HOOVER, le Canal de SUEZ… alors je sais pas. j'auris bien dis la pizza mais c'est la réponse à l'autre question.
Une recette culinaire : La PIZZA. Populaire, savoureuse et internationale.
Un dernier mot pour la postérité?
« la possession engendre l'arrogance.
la perte enrichit la connaissance. »
©Améziane / Emmanuel Proust Editions