Le Hir père et fils associent une fois de plus leurs plumes et leurs crayons pour proposer une version sombre et envoûtante du Petit Poucet de Charles Perrault…

La Guerre de Cent Ans touche à sa fin. Le pays connaît une terrifiante famine, la peste fait sa sinistre moisson et les écorcheurs font régner la terreur sur les routes…

Ne pouvant plus nourrir leurs sept enfants, et ne voulant pas les voir mourir de faim, un couple de bûcherons décide de les emmener au fond d’une sombre forêt pour les y abandonner… Plus petit mais plus malins que ses frères, Poucet a compris le noir dessein de ses parents et va tout faire pour sauver ses frères d’une mort certaine…

Difficile de ne pas tomber sous le charme ténébreux de cette couverture superbement composée et baignée d’une lumière crépusculaire et inquiétante…

Avec audace, Le Hir père et fils s’emparent du conte de Charles Perrault en prenant pour cadre le contexte troublé de cette guerre qui dura près de cent années… Le Royaume est livré à la famine et aux troupes d’écorcheurs qui étripent joyeusement ceux qui ont le malheur de passer entre leurs mains. Ce faisant, ils donnent une justification historique à la misère de la famille du Petit Poucet, permettant à ce héros de conte de prendre s’incarner davantage…

Les planches de l’album sont tout simplement sublimes. Louis Le Hir fait montre de son talent avec un trait puissant qui laisse transpercer son crayonné vif et nerveux. Ses décors, parfois justes esquissés, s’avèrent particulièrement réussis… Tel ce champ de bataille où gisent les cadavres des soldats vaincus ou ces arbres noueux et tourmentés qui accentuent l’ambiance inquiétante et malsaine distillé par le récit… La mise en couleur est elle aussi somptueuse. Les paysages enneigés sont formidablement bien rendus, faisant ressentir le froid glacial et mordant qui assaille Poucet et ses frères et la misère qui règne dans tous le royaume… Alors que l’usage de la couleur rouge souligne à merveille la violence qui couve… ou se déchaîne…

Rarement le récit de Charles Perrault n’aura été adapté avec une telle puissance évocatrice… En donnant pour cadre à ce conte traditionnel la Guerre de Cent Ans, Jean-Louis et Louis Le Hir lui redonnent sa cruauté et sa noirceur originelle…

L’ombre de François Villon, qui fut à la fois poète et brigand, plane sur cet album aux ambiances inquiétantes… Et ce n’est sans doute pas pour rien que les auteurs y ont disséminé des bribes des Ballades des Seigneurs, des Dames du temps jadis ou de celle des Pendus, accentuant l’ancrage du récit dans le Moyan-Âge…

Superbement mise en image, ce petit Petit Poucet est indéniablement une œuvre puissante et magistrale…

Devant chair percée, dévorée et pourrie, os devenus cendre et poudre, frères humains ici n’ont pas de moqueries…le narrateur