Lorsqu'il acheva le premier cycle de Sambre, Yslaire n'en avait pas encore finit avec la Guerre des Yeux... S'il lui restait à nous conter la vie du fils de Bernard Sambre et de Julie Saintange, il s'intéresse aussi à leurs ancêtres et remonte leurs arbres généalogiques. Après Hugo et Iris qui s'intéressait à décrire la jeunesse d'Hugo, le père de Bernard et d'Iris, la mère de Julie, leur rencontre tourmentée et leur tragique destin...
Avec Werner et Charlotte, Yslaire nous narre l'histoire de Werner von Gotha et Charlotte de Sambre. De leur rencontre, nécessairement tourmentée, allait naître Maxime-Augustin, le père d'Hugo. Une fois encore, l'histoire se développe à l'ombre de l'Histoire. Si la révolution de 1848 servait d'écrin à l'histoire d'amour tragique entre Bernard et Julie, le siècle des Lumière est celui de cette fresque. On y croise Marie Antoinette, future reine de France et meilleure amie de Charlotte et on y entend les premières notes du jeune Mozart...
L'action s'amorce en automne 1768 dans la ville de Vienne où s'est exilée la perverse Jeanne-Sophie de Sambre, mère de Charlotte. Charlotte devrait suivre Marie-Antoinette à la cour de France et ses parents caressent pour elle de grandes espérances. Mais, malgré les manœuvres de sa manipulatrice de mère, la jeune fille est tombée éperdument amoureuse de cet orphelin aux yeux rouges nommé Werner von Gotha. L'histoire d'amour se noue et déjà, elle prend un tournant funeste...
Cette nouvelle ramification de la série semble donner raison à la folie furieuse qui animait Hugo et guidait sa main lorsqu'il rédigeait la Guerre des Yeux: depuis l'aube de l'humanité et à chaque génération, un Sambre aux yeux noirs aimera jusqu'à la folie une créature aux yeux rouges qui le conduira aux portes de la folie et au seuil de la mort... A travers le temps, l'histoire semble se répéter et le tragique destin des deux amants maudits rencontre un lointain écho dans le passé chargé de larmes et de sang.

Si le talent de Marc-Antoine Boidin a été révélé par son somptueux Cheri-Bibi adapté du chef d'oeuvre éponyme de Gaston Leroux par Pascal Bertho, son travail sur Sambre fera lui aussi date. Moins tourmenté que le dessin d'Yslaire, son trait plein d'élégance sert admirablement cette histoire et l'ancre dans son époque de façon saisissante. Il s'inscrit dans la continuité de son illustre prédécesseur tout en insufflant son propre style et sa personnalité. La palette chromatique souligne une fois encore à merveille l'aspect romantique et tragique de l'histoire, accentuant l'idée de malédiction qui plane sur ces deux familles qui vont s'aimer et se déchirer à travers le temps et l'espace... Romantisme oblige, la nature et les éléments sont en osmose avec les états d'âme des différents protagonistes, exacerbant leurs sentiments et leurs émotions pour les rendre encore plus poignants...

Ce second tome est une petite merveille de romantisme. Quelle idée fascinante que celle d'avoir voulu donner corps à cette antique malédiction dont il est tant fait mention dans l'histoire originelle! En remontant le temps, on sent les fils des drames à venir se nouer inextricablement, aboutissant à la superbe tragédie mise en scène avec le premier cycle et poursuivit avec le second... L'ensemble constitue une fresque graphiquement époustouflante, vertigineusement romantique, belle et bouleversante... un chef d'œuvre du neuvième art...