Sanyanga clos ce formidable triptyque signé Joël Callède et Gael Séjourné. Que de chemin parcouru que le lecteur a découvert la jeune et séduisante Anna, serveuse dans le restaurant tenu par sa tante et son oncle. Métisse, elle a bien du mal à trouver sa place dans le Harlem des années 20.
Mais lorsqu’elle apprend que son père qu’elle croyait mort depuis des lustres était vivant, elle n’eut de cesse que de le retrouver. Se joignant à une expédition en partance pour l’Afrique pour y rechercher les origines de l’humanité, elle va vivre des aventures envoûtantes et découvrir ls premiers émois amoureux, avant que le ciel ne se ternisse. Ce qui s’amorça comme un conte de fée hollywoodien, où l’on vit la belle métisse devenir actrice par un heureux concours de circonstances, s’achève en drame. La double quête africaine s’enlise dans le désert. Les intempéries et les bêtes sauvages ne sont pas les pires des dangers auxquels seront confronté la petite expédition. Abandonnée peu à peu par les porteurs qui voient dans les péripéties successives la marque d’une malédiction, c’est une poignée d’homme (et une femme!) qui vont, tant bien que mal, tenter de mener leur quête à terme. Les origines de l‘homme et celle d’Anna se confondent dans cette aventure africaine, s’achevant de façon saisissante, accentuant l’aspect dramatique de l’ensemble.
Les voix off qui ponctuent le récit et souligne les émotions ressenties par Anna au fil de sa quête renforce la filiation d’avec La Ferme africaine de Karen Blixen, adapté au cinéma par Sydney Pollack sous le nom d’Out of Africa. Filiation souligné par le scénariste qui fait d’Anna la rédactrice des mémoires de Karen von Blixen-Finecke.
La rencontre d’Anna et du continent noir, berceau de l’humanité et d’une partie de sa famille se fait tour à tour sombre et merveilleux, envoûtant et inquiétant… Le dessin de Gael Séjourné met superbement en scène cette ambivalence, cette beauté sauvage, cette immensité qui met chaque protagoniste face à ses démons… Ses crayons distillent la sensualité inquiétante de ce continent et cerne avec efficacité ce monde en proie au colonialisme. La mise en couleur impeccable de Jean Verney renforce la force évocatrice du dessin pour le plus grand plaisir des yeux.

Ce triptyque se clos sur une Anna apaisée alors que le titre prend une toute autre signification avec cette vie qui grandit dans son ventre, bouclant la boucle de cette formidable aventure humaine… Comme dans toute quête initiatique, le chemin est plus important que le but, l’aventure ayant fait grandir Anna, lui conférant une assurance et une paix intérieure enfin trouvée… L’épilogue de l’album est saisissant, renforçant l’idée de cette quête inachevée, abandonnée alors qu’elle allait porter ses fruits… Mais quelle importance au fond? La vie que le père a donné à Anna sera prolongée à travers cet enfant à naître, porteur de tous les espoirs...

Comment ne pas être touché par ce récit intimiste signé Joël Callede, un auteur plus connu pour ses thrillers incisifs et implacables. Il prouve, si besoin était, qu’il possède plus d’une corde à son arc et laisse présager d’autres horizons scénaristiques pour le plus grand plaisir des lecteurs…