Avec Alsace, Thierry Gloris et Marie Terray poursuive leur exploration de cette époque particulièrement troublée que fut l'occupation pour les alsacien. En une poignée d'années, ils ont changé près de cinq fois de patrie...

Le terme malgré nous a historiquement attribué aux alsaciens qui durent s'engager dans l'armée impériale allemande lors de la première guerre mondiale. Mais ce terme fut réutilisé pour les incorporés de force dont certains le furent même dans la sinistrement connue Waffen SS. C'est le destin de ces hommes jetés malgré-eux du mauvais côté de la ligne de front que les auteurs explorent, à travers celui, fictif, de l'un d'entre eux...

Nous sommes en 1943. Louis Fisher, déserteur, tente de trouver un moyen de rejoindre la zone libre. Sa sœur, Jeanne, a rejoint l'Armée des Ombres alors que Mathilde, amoureuse d'un officier allemand, ne se mêle pas de politique. Mais la Wehrmacht est bien décidée à remettre la main sur Louis Fisher, n'hésitant pas à user et abuser de son meilleur moyen de pression : déporter les familles des déserteurs... Louis va devoir faire des choix douloureux... Sa survie n'est plus seule engagée...

Le scénario de Thierry Gloris s'avère encore et toujours des plus captivants. Les personnages qu'il met en scène sont subtilement travaillés, présentant avec finesse les difficiles choix qui s'offrirent aux alsaciens dans cette période troublée. Sans porter de jugement, il met ses personnages avec ces heures sombres de notre histoire, qui vit émerger des héros comme les pires des crapules. Les seconds rôles sont particulièrement crédibles, renforçant la cohérence de l'ensemble. Le choix des titres de chaque tome est lui aussi plein de subtilités, esquissant l'itinéraire de Louis de faon saisissante.

Les aquarelles de Marie Terray sont une fois encore de toutes beauté, dépeignant avec une grande justesse les émotions ressenties par les différents protagoniste de ce drame. Si le premier tome était graphiquement très séduisant, son trait n'a cessé de s'affiner au fil des tomes. Les différentes atmosphères qui baignent le récit sont retranscrites avec justesse et efficacité, de l'insouciance des quais strasbourgeois baignés de soleil, à l'atmosphère oppressante du camp de rééducation où ont été déportés les parents de Louis.

Au vu de la qualité de ce premier cycle, on ne peut qu'espérer que le projet de suite de Thierry Gloris aboutisse. Malgré nous est une série didactique qui participe au devoir de mémoire. La Bd ne se contente pas de raconter des histoires, elle est bien plus que cela... Et Malgré nous en est la preuve, au même titre qu'Amours Fragiles de Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot, qu'Auschwitz de Pascal Croci ou Un été en enfer de Roger Seiter et Vincent Wagner.