La légende de la cité d’Ys, bien que de facture assez récente, est l’une des plus connues des terres de Bretagne. Elle s’ajoute au long patrimoine des cités englouties, à commencer par l’Atlantide de Platon.

A la tête de sa puissante flotte, le roi Gradlon de Bretagne voit ses nuits hantés par une citadelle imprenable perchée au sommet d’un éperon rocheux dominant l’océan. Le rêve se fait réalité et peu à peu ses hommes l’abandonnent à sa folie de conquérir un jour cette forteresse. Se réveillant une nuit dans son camp déserté, il découvre que les habitants de la citadelle sont soumis à un étrange charme et dorment d’un profond et inextricable sommeil. Sur le seuil de la forteresse l’attend le chevalier en armure qui dirigeait la défense… Sous le heaume se cache la belle et troublante Magdalen, reine de la cité qui a tôt fait de faire tomber Gradlon sous l’emprise de ses charmes. Elle-même n’est pas insensible à celui de ce valeureux roi de Bretagne. La passion a tôt fait de les dévorer et tous deux deviennent amants. Après une folle étreinte, elle demande à Gradlon d’occire son mari durant son sommeil et Gradlon obéit à son envoûtante maîtresse. Leur sinistre forfait accompli, les amants prennent la fuite à bord d’un navire pour y vivre leur folle passion… Un jour, leur bateau accoste sur une étrange île où Magdalen donne naissance à Dahud, leur fille… Lorsque Gradlon se réveille, l’île est désertée de toute autre présence que celle du nouveau-né… Reprenant la mer, il accoste sur des rivages où il croit reconnaître la grande ou la petite Bretagne… Il ignore encore que ce qui ne fut pour lui qu’une parenthèse de quelques semaines a été pour les autres plusieurs décennies… Plus d’un homme alors aurait sombré dans la folie… Et, tout roi qu’ile , Gradlon n’en reste pas moins un homme…

Près de trente ans après les Ecluses du Ciel, Rodolphe entraîne à nouveau le lecteur dans les flots agités qui baignaient les hautes murailles de la légendaire Cité d’Ys. Avec le talent de conteur qu’on lui connaît, le scénariste nous entraînent dans les prémices de la légende, alors que Gradlon n’avait pas encore fait la connaissance de Malgven / Magdalen qui allait devenir la mère de Dahud / Ahès. Son récit s’abreuve aux différentes sources de la légende pour tisser un récit épique plein de magie et de mystères. Le mythe d’Ys est, dans sa forme la plus commune, relativement récent. Il n’était d’ailleurs pas fait mention de Dahud dans sa forme écrite la plus ancienne, l’Histoire de la Bretagne écrit par Pierre Le Baud en 1495, alors qu’elle en est aujourd’hui le personnage emblématique dans l’imaginaire collectif. L’ascendance à la fois noble et féérique de Dahud que choisit de lui conférer Rodolphe pose les bases d’un récit envoûtant qui plante ses racines dans les légendes celtes pour étendre ses banches dans le moyen-âge breton et le romantisme du XIXième siècle...

Le trait de l’illustratrice espagnole Raquel Alzate, qui avait déjà signé l’envoûtante Croix du Sud il y a des lustres, fait une fois de plus merveille. Ses pinceaux distillent une ambiance magique et onirique en parfaite osmose avec l’histoire de Rodolphe alors que sa lumière inondant ses planches est de toute beauté, renforçant l’aspect mythique de l’ensemble.

La Folie de Gradlon ouvre un triptyque où le fond et la forme se rejoignent de façon saisissante. Beau et captivant, cette variation autour de la légendaire la cité d’Ys fera sans nul doute date et ravira les amateurs de contes et de légendes bretonnes… Difficile de savoir vers quelle version du mythe les deux auteurs nous entraîneront dans la suite du récit, d’autant plus que Rodolphe pourrait bien nous en livrer une version toute personnelle… Mais quelle qu’elle soit et au vu de la qualité de ce premier tome, ce sera avec un réel plaisir que nous suivrons le tragique destin de cette cité narrée par un talentueux conteur et enluminée par une illustratrice aussi rare qu’époustouflante…