Blanche Neige des frères Grimm est connu du grand public par la version Disney qui a quelque peu estompé la noirceur de l’histoire originale. Ce conte initiatique saisonnier retrouve avec cet album un peu de sa patine d’antan et ce dès la couverture dont la composition évoque cette célèbre scène où la Reine, alors enceinte, se pique le doigt alors qu’elle brodait sur une fenêtre d’ébène et que des gouttes de sang tombaient sur la neige immaculée. Elle fit alors le vœu que l’enfant à naître aura le teint blanc comme la neige, les lèvres rouge comme le sang et les cheveux noirs comme l’ébène… Mais dès la couverture, on sent poindre cette sourde menace et on sait que le tragique et la violence vont s’inviter dans l’histoire, bien plus que dans la version trop édulcorée de Disney pour une sorte de version cauchemardesque.

L’histoire se passe dans un coin de l’Allemagne de la fin du XVIIIième siècle alors que Wilhem et Jacob Grimm se penche sur un manuscrit contenant l’histoire de la Blanche Otilie et des Nibelungen… Ils cèdent alors la place au récit qui s’amorce au cœur d’une forêt où mange une troupe d’artistes itinérants s’apprêtant à jouer dans un village voisin. C’est là que les pas Zita, actrice arriviste prête à tout pour s’extirper de sa basse condition, vont croiser ceux d’un comte veuf depuis quelques temps déjà et père d’une délicieuse petite fille. Ce dernier va tomber fou amoureux de cette femme au charme vénéneux. Lorsque cette dernière annonce à ses compagnons de route qu’elle va convoler en juste noce avec le comte et abandonner la troupe, elle comprend que ces derniers sont prêts à révéler au futur mari qu’elle n’est qu’une catin… Elle décide de prendre les devants en leur offrant un vin empoisonné et en mettant le feu à leur campement, rompant ainsi les ponts avec un passé qu’elle croit alors révolu… Mais devenir comtesse ne lui suffit pas, encore faut-il jouir de la richesse à sa guise. Elle précipite la mort de son mari et enrage en apprenant que c’est sa fille qui hérite de tout. Las! La perfide ne va pas s’arrêter en si bon chemin et va vouloir supprimer la jeune Otilie… C’est alors que les rescapés de l’incendie, alliés à des gosses de rues, vont lui venir en aide, s’alliant pour se venger de la sinistre Zita devenue comtesse sanglante…

Le récit sombre de Philippe Bonifay fait une fois encore montre d’une grande maîtrise narrative. Plusieurs fois interrompu par les réflexions des frères Grimm percevant dans la trame du récit matière à un conte, l’histoire de la Blanche Otilie s’avère particulièrement ludique puisque le lecteur tisse lui-même les liens entre l’histoire du manuscrit et la version qu’il connaît de Blanche Neige et de ses sept nains. Les sept nains (sont-ils bien 7 ?), la pomme, le poison, le chasseur, le miroir, tous les éléments du conte sont là, mêlés avec subtilité et inventivité à un récit ancré dans l’histoire. Mais dans la vraie vie, point de happy end et il faudra tout le talent de conteur de Wilhem et Jacob pour insuffler à ce sombre récit la magie et les charmes qui le feront passer à la postérité.

Fabrice Meddour signe là un album somptueux. Son association avec Philippe Bonifay en compagnie de qui il a signé le sublime John Arthur Livingstone - Le Roi des singes est une fois encore une riche idée. Les planches de l’album, rehaussées par les superbes couleurs de Stéphane Paitreau sont un régal pour les yeux, notamment celle faisant la part belle à la nature, tantôt inquiétante, tantôt apaisante. La lumière

A partir d’une trame connue de tous, les auteurs ont su créer une histoire riche et dense, en marge du conte. Cette nouvelle série commence décidemment sous les meilleurs hospices. Avec ce Blanche Neige, Philippe Bonifay et Stéphane Paitreau ont redonné au conte des frères Grimm sa noirceur originelle, enlevant le vernis de naïveté dont l’avait recouvert le film d’animation des studios Disney pour livrer un petit bijou de noirceur, à ne pas mettre entre toutes les mains…