Sang Royal semble concentrer ce qui caractérise usuellement les albums scénarisés par d’Alejandro Jodorowsky : une fascination pour les personnages meurtris dans leur chair et/ou dans leurs âmes et un catalogue presque exhaustives des perversions humaines, avec un goût prononcé pour la torture et les déviances sexuelles (inceste, zoophilie, gérontophilie…), le tout saupoudré de folie furieuse et de violence exacerbée. L’intrigue a incontestablement une dimension shakespearienne par l’exacerbation des sentiments, les fantômes qui hantent les vivants et la vengeance qui sert de fil rouge…

Si le premier diptyque clôturait une partie de l’histoire, la question de la vengeance de la sorcière semblait être un fil narratif quelque peu oublié. Il n’en était rien puisque la fin, très ouverte, laissait au scénariste argentin la possibilité de poursuivre son intrigue en prenant cette vengeance comme fil rouge, prolongeant de deux tomes au moins cette saga médiévale-fantastique pleine de sang et de sexe.

Après des décennies de luttes Alvar vit en paix avec le Royaume voisin depuis qu’il a fiancé son fils avec la fille du roi. Las! Son ingrate progéniture, peu gâté par dame nature, a été jusqu’à se faire castrer et entrer dans les ordres pour ne pas avoir à épouser sa promise... Sans héritier à qui transmettre sa couronne, Alvar désespère. C’est alors que lui apparait le fantôme de sa fille et épouse, Sambra. Elle lui rappelle qu’avant qu’il la tue pour la punir de son infidélité, elle avait mis au monde un enfant qui fut élevé parmi les loups. Cet enfant de son sang, ce petit fils oublié, pourrait bien être celui qui coifferait la double couronne… Mais cela ne sera pas si facile car la princesse a de son côté fait le serment de n’épouser qu’un homme capable de rivaliser avec elle les armes à la main…

Le dessin somptueux de Dongzi Liu fait une fois de plus merveille et porte littéralement ce scénario alambiqué sorti de l’esprit tortueux et torturé d’Alejandro Jodorowsky. Ses dessins, oscillant entre la peinture et le photoréalisme, sont de toute beauté. Illustrateur talentueux, il semble peu à peu s’accaparer les codes de la BD pour devenir un dessinateur de BD plus que convainquant.

Sur un canevas classique, Alejandro Jodorowsky a su tisser une histoire étrange et tourmentée emplies de sang, de sexe et de mutilations. On devine une fin tragique pour cette épopée épique, concentré des perversions qui hantent l’argentin depuis ses premières histoires. A réserver bien évidemment à un public très averti… et parfaitement sain d’esprit… Les amateurs de Jodo apprécieront, les autres…