Si le succès des romans de Stieg Larsson appelait sans nul doute une adaptation au neuvième art, celle-ci n'en relevait pas moins du challenge. Avouons-le, l’annonce de l’adaptation des romans du journaliste et écrivain suédois nous avait laissé quelque peu dubitatif. Il fallait le talent de Sylvain Runberg conjugué à celui de l’époustouflant dessinateur espagnol qu’est José Homs pour nous convaincre du bien-fondé de cette ambitieuse entreprise ! Tous deux ont relevé le gant avec panache et la transposition BD de
l'homme qui n'aimait pas les femmes était incontestablement une réussite, tant sur le plan graphique que scénaristique...
José Homs est remplacé par Man au dessin, secondé par Gérard et Vernay à la couleur, pour poursuivre le formidable travail d’adaptation entamé avec le premier tome du diptyque qui reprenait l'intrigue de
La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette.
L'histoire se centre sur le complexe et mystérieux personnage de Lisbeth Salander et sera l'occasion de lever le voile sur son enfance tourmentée... Ses démêlés avec maître Bjurman, son infâme tuteur, vont l'entraîner bien malgré elle dans un inextricable guêpier et lui faire rencontrer un fantôme de son enfance... Recherché par toutes les polices du pays pour meurtre, elle aura fort à faire pour démasquer les véritables assassins et se disculper. Elle pourra bien sûr compter sur le célèbre et talentueux journaliste, co-fondateur du magazine
Millénium, Mikael Blomkvist…
Comme on le dit bien souvent, adapter c'est toujours trahir, surtout lorsqu'il s’agit de transposer l'intrigue du polar en bd, et qui plus est en deux tomes uniquement... Il a bien sûr fallu tirer le scénario dense et nerveux vers l’épure, pour en dégager les lignes de forces, en alléger l’ossatures et oser prendre des raccourcis et des chemins de traverses sans que l’édifice du roman ne s’écroule… Et une fois encore, la magie opère. On retrouve avec plaisir tant les personnages fouillés de Stieg Larsson que l’atmosphère si particulière qu’il avait imprimé à son a trilogie. Si des coupes franches ne purent évidemment être évitées, le découpage de l’album n’en reste pas moins d’une grande fluidité et ravira tant les lecteurs du roman, les spectateurs du film (et de la série) ainsi que ceux qui découvrent l’intrigue pour la première fois. Parfaitement équilibré et savamment rythmé, le scénario de Sylvain Runberg fait bien plus que tenir la route : il respecte parfaitement la cohérence et l’esprit du roman tout en prenant des partis pris narratifs audacieux, se démarquant du récit sans réduire son impact… Du grand art!
Le dessin Manolo Carrot , alias Man, qui a précédemment signé le Client scénarisé par Zidrou, s’avère bien moins nerveux et percutant que celui de José Homs qui nous avait littéralement scotché par la virtuosité de son trait et l’élégance de ses couleurs. Pour assurer une parution resserrée, le choix a été fait de confier le second cycle à un autre dessinateur pour que José Homs puisse se charger du dernier diptyque. Le choix était-il pertinent? Difficile de répondre par l’affirmative tant le dessin et la superbe colorisation de José Homs semblaient en parfaite osmose avec le récit, lui conférant sa personnalité et son identité. Man n’est pas un mauvais dessinateur, loin de la! Mais son dessin (et sa colorisation) souffre de la comparaison avec ceux du premier cycle et, en grand admirateur du travail réalisé par Homs sur les deux premiers tomes, nous ne pouvons que regretter ce changement de dessinateur. Les lecteurs ne sont-ils pas suffisamment matures pour pouvoir patienter quelques mois de plus pour lire une histoire savamment orchestrée et superbement mise en image?
Même si on regrette ce passage de crayons relais, on retrouve dans ce troisième opus ce qui faisait le charme du premier cycle : un découpage redoutablement efficace, une réécriture dynamique et pertinente et un rythme narratif subtilement dosé. Si l’histoire a perdu un peu de son identité graphique, elle n’en n’a pas pour autant perdu son âme! Millenium reste ce fabuleux polar sombre et mordant dont nous conseillons à tous et à toutes la lecture…