Jean-Patrick Manchette est un auteur de polar dont plusieurs œuvres ont été adaptés par Tardi.
La position du tireur couché,
Le petit bleu de la côte ouest,
Ô dingos,
ô châteaux ! ,
Griffu sont autant d’excellent polar sombre et tourmenté mis en image par l’un des maîtres du noir et blanc… Max Cabanes s’est emparé de
La princesse du sang, l’œuvre inachevée du romancier, dont le premier tome est paru en 2009… Son découpage ciselé et un son dessin sublime forçant l’admiration, c’est tout naturellement que l’on s’est intéressé de prêt à
Fatale, adaptation du roman éponyme que l’auteur a défini comme expérimental publié en 1977…
Aimée est une délicieuse jeune veuve qui s’intègre facilement aux notables de Bléville, entrant avec aisance dans le cercle très fermé des réceptions mondaines. Un observateur distrait pourrait penser qu’elle fait partie de leur monde. Mais Aimée est une tueuse professionnelle qui travaille à son compte… Quelques jours auparavant, elle a abattu sans ciller un chasseur d’une décharge de chevrotine. Observatrice des travers de la bourgeoisie campagnarde, de leurs histoires de fesses et d’argent, elle attend, patiemment, de pouvoir jouer franc jeu et de tirer son épingle du jeu…
On retrouve dans cette mise en lumière des travers de la bourgeoisie campagnarde le regard incisif et féroce d’un Chabrol. Une adaptation de cette œuvre de Manchette n’aurait pas dépareillé dans la filmographie de ce cinéaste épicurien… Bien qu’expérimental, le scénario atypique, refusé par la Série noire emprunte aux codes du polar. Auteurs et lecteur jouent au chat et à la souris pour cerner le personnage étrange et ambigu d’Aimée dont les monologues accompagnent la lecture dans de longs et édifiants récitatifs. Au fil du récit, ce personnage froid et inquiétant, paraît plus humain… Au fur et à mesure que son douloureux passé nous est dévoilé, sa carapace se lézarde, laissant apparaître une fragilité aussi touchante que surprenante…
Le dessin de Max Cabanes, nerveux et réaliste, porte remarquablement le récit adapté par Doug Headline. Il accentue l’aspect harboiled de l’ensemble grâce à des cadrages audacieux et plein d’inventivité. Personnages et décors sont superbement mis en images par un auteur au fait de son talent… Le lettrage si particulier, qui évoque le romancier tapant sur sa Remington dans un nuage de fumée en sirotant un verre de whisky, est lui aussi un réel délice…
Fatale est une remarquable adaptation du roman expérimental de Jean-Patrick Manchette. Porté par un dessin de toute beauté, des récitatifs percutants et des dialogues ciselés, ce polar marquera sans nul doute le lecteur par sa noirceur et son rythme atypique…