Le Sculpteur fait indéniablement partie de ces albums coup de poing dont vous ne sortez pas indemne. S’interrogeant tant sur la création artistique que sur la brièveté de la vie, ce récit de Scott McCloud est un petit bijou du neuvième art…

Après avoir connu un bref instant les faveurs du monde artistique, David Smith est retombé dans l’anonymat. Artiste jusqu'au-boutiste prêt à tout sacrifier pour son art, il scelle un pacte avec la Mort ayant pris l’apparence de son oncle décédé… En échange du don de façonner la matière à main nue, il accepte de n’avoir plus que deux-cent jours à vivre… Deux-cent jours pour créer quelque chose d’inoubliable qui le rendra éternel… Mais le don ne suffit pas toujours… Pour devenir un artiste reconnu, il faut savoir composer avec les acteurs du monde de l’art et le caractère entier de David et sa vision de l’art empêchent tout compromis… Les choses se compliquent encore lorsqu’au onzième jour il tombe amoureux de l’envoûtante Meg…

A travers cette version moderne du mythe de Faust, Scott McCloud nous livrent une passionnante réflexion sur l’art, son rôle dans la société, le rapport qu’entretien l’artiste avec son œuvre, le don qui n’est rien sans inspiration et la notoriété, plus lié à l’entregent qu’au talent. Avec ce récit poignant mettant en scène un artiste plus que jamais dans l’urgence de créer, il nous interpelle aussi sur le sens à donner à notre vie, brève par essence.

Le premier chapitre de l’album peut donner une fausse impression de confusion tant le récit semble s’éparpiller et explorer de nombreux registres. Mais peu à peu, les différents éléments s’assemblent de façon saisissantes, développant une histoire qui monte en puissance au fil des près de cinq cent pages, pour un final tout à la fois poignant et bouleversant remarquablement construit. Les rencontres entre David et la mort, qui servent de fil rouge au récit, lui impulse une étrange pulsation et lui confère sa structure si particulière et toute sa force…

Le trait épuré et faussement naïf de Scott McCloud est entièrement au service du récit. Son découpage, tout à la fois sobre et redoutablement efficace, est d’une rare fluidité. Il fait montre d’un sens de la narration aiguisé et d’un remarquable art de la mise en scène. Sa façon de faire s’effacer le décor pour mettre en relief un personnage permet à l’auteur de nous projeter dans l’esprit du narrateur avec une facilité déconcertante, nous permettant de mieux cerner les tourments de David Smith…

Cet album porte la marque d’un grand artiste popularisé en France pour L'Art invisible, un essai graphique didactique décortiquant l’art de la bande dessinée de façon absolument passionnante. Ce pavé de près de cinq cent pages fait montre de son talent de conteur et de son exceptionnelle maîtrise des codes de la narration graphique… Il met en mots et en images avec une redoutable efficacité ce sentiment d’urgence, cette fureur de vivre, cette soif de notoriété et les renoncements qui sont le lot quotidien d’un artiste… Le Sculpteur est une œuvre forte et puissante d’un auteur au sommet de son art…