L’attentat des Twin Towers du 11 septembre 2001 a bouleversé en profondeur l’histoire du monde. Si l’attentat proprement dit n’a fait «que» quelques milliers de victimes, les guerres que cet acte terroriste atroce a permis de justifier en ont commis plus encore. L’intervention de l’armée américaine et britannique sans l'aval des Nations Unies en Irak, soit disant dans le but d’empêcher Sadam Husein d’utiliser des armes chimiques chimériques n’a dupé personne. Initialement baptisée Operation Iraqi Liberty (O.I.L.n ça ne s’invente pas), ce guerre est clairement destinée à faire main basse sur le pétrole iraquien et permettre à des compagnies privées, évidemment américaine, de construire et sécuriser l’Irak, engrangeant des millions de dollars de bénéfices… C’est dans ce contexte troublée, quelques temps après le fameux « Mission Accomplished » flottant sur le
USS Abraham Lincoln que se déroule l’intrigue de
Bagdad Inc., sur un scénario mordant et incisif concocté par le prolifique Stephen Desberg et mis en image avec une redoutable efficacité par Thomas Legrain…
Irak, de nos jours. Les soldats des armées privées ont rapidement remplacé les soldats américains pour que leur mort ne vienne pas heurter l’opinion publique américaine, la guérilla urbaine ne pouvant manquer de causer de nombreuses pertes humaines . Dans une Bagdad à mille lieux d’être pacifiée, un serial-killer est à l’œuvre. Il choisit ses proies parmi les civils irakiens, recouvrant leur cadavre d’inscription racistes et prélevant un morceau de leur corps comme trophée. Le gouvernement américain redoute un retentissant scandale, qui viendrait s’ajouter aux précédents. Il mandate sur place Charlène Van Evera, jeune et brillante juriste, pour mener l’enquête dans une zone en guerre… Elle est secondée par un mercenaire cynique et désabusé aux méthodes violentes et expéditives… Rapidement, ses soupçons s’orientent vers les soldats privés qui œuvrent sur tout el territoire… Mais, rien qu’à Bagdad, ils sont légions… Elle va découvrir la face cachée et peu reluisante de la seconde guerre d’Irak…
Stephen Desberg continue à pointer avec une redoutable efficacité d’un doigt accusateur les zones sombres de l’histoire américaine. Cette histoire de serial-killer en zone de guerre s’avère des plus originales, posant en filigrane la question de graduation de l’horreur. Ces meurtres sanglants ne font qu’ajouter à l’horreur quotidienne vécue par les populations civile…
Mais cette trame policière est surtout un prétexte pour le scénariste pour dénoncer avec virulence cette intervention militaire qui masque bien mal une guerre économique muée en guerre de conquête. La privatisation de la guerre et de la logistique donne la nausée et semble quasi irréelle de par son envergure. Basé sur une documentation fouillée, le scénario de Stephen Desberg ressemble au cauchemars d’un auteur de roman cyberpunk tant les multinationales semblent s’être accordé pour se partager le monde… Mais ce n’est pas l’avenir qu’il décrit, mais notre présent, qui donne à désespérer du genre humain…
Le dessin à la fois classique et réaliste de Thomas Legrain s’avère comme de coutume d’une redoutable efficacité. Son découpage et ses cadrages millimétrés confèrent au lecteur l’impression de visionner une excellent série américaine, impression renforcée par le rythme soutenu du scénario, un encrage et une colorisation soignés. Décidemment, Thomas Legrain, dessinateur autodidacte, n’en finit plus de nous étonner…
L’armée et les services de sécurité ont été privatisés… Le libéralisme exacerbé, incarnés par les faucons du Pentagone, semble avoir remporté une bataille sur la raison et la démocratie… Avec ce one-shot qui inaugure une nouvelle sous-collection au sein de la prestigieuse Troisième Vague, Stephen Desberg et Thomas Legrain signent un polar saisissant où l’enquête policière n’est qu’un prétexte pour porter un regard sans concessions sur cette sale guerre dont les répercussions n’ont pas fini d’éclabousser le monde occidental. L’enquête, classique mais bien menée, s’efface presque derrière le background riche et solidement documenté… Le scénariste complète par petite touche les sinistres dessous de cette intervention militaire et le cynisme des décideurs, prêts à tout pour augmenter leur profit, même à déclencher une guerre illégitime sous couvert de défendre les droits de l’homme. Bagdad Inc., album tout à la fois intelligent, glaçant et édifiant est incontestablement l’une des bonnes surprises de la rentrée…