Signé Xavier Dorison et somptueusement mis en image par Joël Parnotte,
Le maître d’armes est un récit qui s’inscrit en marge de l’Histoire, alors que s’esquissent les guerres de religions à venir qui embraseront le royaume de France… A la croisée des mondes, écartelé entre le Moyen-Age et la Renaissance, cet album puissant s’avère être l’un des plus captivants de cette rentrée…
1531. Les ténèbres du Moyen-Age tentent d’étouffer les lueurs vacillantes de la Renaissance. L’église se déchire, opposant papistes et réformistes pour faire éclore la soi-disant vérité de Dieu. Deux hommes vont s’affronter dans un duel à mort devant leur souverain. Le vainqueur deviendra le maître d’arme de François d'Orléans, devenu François Ier à la mort de Louis XII… Le combat dantesque opposant Hans Stalhoffer, actuel maître d’arme, au comte Maleztraza s’achève sans qu’il n’y ait ni vainqueur ni vaincu… Pourtant, Stalhoffer abandonne sa lame et sa charge au comte, sans combattre…
Six années ont passé. L’Eglise a lancé ses sbires à la poursuite d’un vieil homme accompagné d’un jeune garçon. Son crime : vouloir rejoindre la Suisse pour y faire imprimer la Bible en langue vulgaire… Une traque impitoyable s’engage… Mais l’homme vient quérir l’aide de celui qui fut jadis son ami avant d’être le maître d’arme du roi et dont il a sauvé la vie à l’issue du duel… Stalhoffer, vivant désormais en vendant sa lame pour de basses besognes, n’a que faire de leur combat… Il va pourtant les épauler, au cœur d’un environnement hostile, car celui qui les traque n’est autre que l’impitoyable comte Maleztraza… Stalhoffer sait pertinemment que le triste sire n’est pas tant là pour la bible en langue vulgaire que pour achever un duel commencé il y a six années de cela…
Le récit de Xavier Dorison ravira n’en doutons pas les amateurs d’histoire et d’aventure. L’Eglise cherche à garder la main mise sur le bas peuple et tente d’interdire la diffusion d’une Bible en langue vulgaire, de peur que le peuple ne s’en empare et s’émancipe de son clergé… Comme le souligne le scénariste, ce n’est pour la vérité que le sang va couler mais bien pour conserver ou s’accaparer le pouvoir sur les âmes et sur les hommes, une lutte à mort alors que l’ancien monde agonise.
Hans Stalhoffer reste étrangement en retrait de cette lutte sans merci où la seule loi demeure celle du plus fort, comme s’il était déjà vaincu… Il plane sur lui un étrange mystère qui sert de fil rouge au captivant récit de Xavier Dorison : pourquoi a-t-il abandonné son épée et sa charge sans combattre, lui qu’on ne peut accuser de couardise? Quel réel enjeu se cachait derrière ce duel à mort et qui lui fit rendre les armes sans se battre… C’est tout le sel de cet album que de chercher la réponse à cette douloureuse question…
Le nom du personnage est sans doute inspiré de celui de Hans Talhoffer, l’un des maîtres d’armes germanique les plus célèbres. Quant à ces deux maîtres d’armes qui s’affrontent, ils ne sont pas sans évoquer ceux de l’excellent
by Sword de Jeremy Kagan qui défendent chacun une philosophie différente du duel. On appréciera l’apparent paradoxe qui voit le vieux maître d’armes défendre des valeurs humanistes et progressistes, alors que Maleztraza met sa lame au service d’une Eglise obscurantiste…
Joël Parnotte fait montre d’un talent saisissant pour mettre en images ce récit passionnant. Il se dégage de ses planches une force peu commune. Son trait sombre déborde d’énergie alors que son découpage s’avère précis et bougrement efficace, tant dans les scènes de combat, solidement documentées et parfaitement chorégraphiées, que dans les scènes plus contemplatives qui font la part belles aux décors (grandioses!). Ses cadrages s’avèrent particulièrement soignés, conférant à l’ensemble un dynamisme et une fluidité des plus appréciables alors que les scènes de duels sont remarquables de puissance et de vivacité. Il s’en dégage une énergie et une violence saisissante qui feront date…
Ce Maître d’armes est un thriller épique et historique passionnant et somptueusement mis en images par un Joël Parnotte au sommet de son art. Le récit puissant, haletant et parfaitement maîtrisé de Xavier Dorison s’avère en tous points captivant alors que s’affrontent l’ancien et le nouveau monde dans un déchaînement de violence.
Ce one-shot est sans contexte l’un albums incontournables de cette rentrée, et même de cette année 2015… Un chef d’œuvre à ne manquer sous aucun prétexte...
(*) Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris