Gustave Courbet semble inspirer les scénaristes de bandes dessinées. Après Fabien Lacaf et son polar bâti autour de l’Origine du Monde, voici qu’André Houot s’empare de ce peintre transgressif pour en tisser une biographie passionnante et joliment charpentée…

La Tour-de-Peilz, 1877. Exilé en suisse, Gustave Courbet, est au crépuscule de sa vie. Attablée à un bistrot en compagnie de la fée verte, il est rejoint par un mystérieux visiteur. Ils entament une longue conversation où Gustave Courbet va se livrer et raconter sa vie de son enfance sur les bords de la Loue près d’Ornan à ses premières toiles et à ses premiers scandales jusqu’au Paris de la Commune…
Côtoyant la bohème parisienne, Courbet devint le chef de file de la peinture réaliste, ouvrant une brèche entre le classicisme et le romantisme. Au fil de ses toiles, il s’efforça de peindre le monde qui l’entoure, sans fards, tel qu’il le voit. Anticlérical, anti conformiste, il fraya avec les milieux pré-anarchistes, côtoyant Proudhon, théoricien révolutionnaire et franc-comtois comme lui, et combattit l’ordre établi à la pointe de ses pinceaux… Il participa à la Commune de Paris et en payera chèrement le prix.

En s’appuyant sur ce mystérieux visiteur étrangement bien renseigné sur le peintre, André Houot confère au récit de la vie de Courbet un rythme savoureux. Le visiteur interrompt plusieurs fois le récit de Courbet pour lui poser l’une ou l’autre question et inciter l’artiste à préciser son histoire… Et l’artifice narratif se change en trouvaille géniale dans les dernières pages du récit…

Mais le scénariste ne se contente pas de décrire l’histoire de l’artiste engagé et épris de liberté que fut Courbet. Il cherche à nous montrer l’homme qu’il était. André Houot dépeint un personnage complexe et tourmenté, entièrement tourné vers son art qu’il voit comme un moyen de bousculer les conventions et mettre à bas l’ordre établi. Par certain aspects, il n’est pas sans évoquer le Cyrano d’Edmond Rostand dont le caractère entier et intransigeant lui attira bien des ennemis et causa finalement sa perte…

Le trait généreux d’André Houot fait revivre avec force détails tant le Paris de la Belle époque que la campagne franc-comtoise. Ses décors sont joliment composés alors que les couleurs chaleureuses de Jocelyne Charrance soulignent avec brio les différentes ambiances et atmosphères du récit… Les scènes où la colère, l’exaltation ou la passion s’emparent de Courbet s’avèrent particulièrement fortes et énergiques alors que celle ou dame folie resserre son emprise sur lui sont tout simplement superbes et vertigineuses… La couverture de l’album, dévoilant le visage de la femme d’un des tableaux les plus sulfureux du peintre (qui heurte encore aujourd’hui certains esprits pudibond) s’avère tout juste magnifique, semblant inviter le lecteur à entrer dans l’intimité de l’artiste…

Rehaussé d’une jaquette et très joliment édité, l’album est à classer dans les beaux livres, aux côté des livres d’art dont il explore l’histoire…

Génie de la peinture, Gustave Courbet marqua l’histoire de l’art de son empreinte, ouvrant une nouvelle voie à l’art en général et à la peinture en particulier. Insoumis et provocateur, Gustave Courbet a tout du personnage de roman. Avec ce Rendez-vous d’onze heures, André Houot signe un album parfaitement maîtrisé en tous point passionnant et dans lequel transpire sa passion pour cet artiste.

L’album s’avère dense et captivant, retraçant la vie de l’artiste avec force détails… Il séduira tant les amateurs d’histoire de l’art pour sa solide documentation que les néophytes qui découvriront la vie tumultueuse d’un homme en découvrant son œuvre…