Près de 7 ans après la savoureuse Théorie du chaos, Kaplan et Masson reprennent du service, pour notre plus grand plaisir, avec aux commandes en solo un Jean-Christophe Thibert particulièrement inspiré… C’est d’abord l’excellente couverture de l’album qui attire l’œil, à la fois dynamique et totalement impromptue… Puis c’est le titre qui accroche le regard, forçant à le lire plusieurs fois… « Sauver Hitler »… Quelle idée saugrenue… Surtout que les faits se déroulant en 58, les cendres du dictateur avait largement eu le temps de refroidir… Et s’il eut été difficile de le (re)tuer en 58, le sauver serait tout aussi improbable!

Mais imaginons un seul instant qu’il soit parvenu à berner tout le monde dans son bunker, avec un faux suicide (mais un vrai cadavre) et qu’il coulerait des jours paisibles à Venise… Imaginez à présent que les services secrets des deux grands blocs de la Guerre Froide aient eu vent de l’affaire… Ajoutez à cela une poignée de nazis nostalgiques du troisième Reich et vous obtenez un mélange détonnant… Maintenant, ajoutez à cela une formidable affaire d’enfumage monté par les services secrets français, un leurre destiné à mettre à bas un réseau d’anciens nazis et vous obtenez un scénario audacieux, totalement barré et pas piqué des hannetons…

1858. Le colonel Kaplan fait appel à Nathan Masson et Watanabé Sensei pour une mission peu orthodoxe : ils doivent se rendre sans tarder à Rome pour sauver Hitler… ou plutôt sa doublure, Jules Lantier, germanophone distingué et quasi sosie du charismatique et inquiétant leader du Reich… Jouant depuis deux ans les appâts, il devient la cible de la CIA et du KGB qui espère bien accrocher Hitler à leurs tableaux de chasse… Les ruelles de Rome vont rapidement devenir un joyeux bordel pour une nouvelle mission particulièrement explosive et mouvementée…

C’est peu dire que cet album nous a enthousiasmé. Il se dévore d’une traite, tant pour sa qualité d’écriture et la richesse de ses dialogues que le dessin remarquable de maîtrise rehaussé par des couleurs délicieusement désuètes qui ancrent le récit dans les années 50.

Tout d’abord, l’idée même de lire les nouvelles aventures de ces deux iconoclastes agents du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage) ne pouvait que susciter chez nous un plus vif intérêt tant le premier opus de la série s’avérait original, savoureux, et parfaitement maîtrisé… Mais après sept années, nous nous étions fait une raison…

Fort heureusement Jean-Christophe Thibert a repris le scénario de Didier Convard avec un incroyable talent… Si le premier tome était indéniablement brillant, le second est tout simplement génial… L’histoire démarre sur les chapeaux de roues et c’est sur un rythme plus endiablé encore qu’elle se poursuit. Les dialogues sont truculents à souhaits, truffés de répartis cinglantes, et le scénariste fait montre d’un sens du comique de situation absolument irrésistible.

Son dessin est formidablement dynamique faisant incontestablement de Thibert un des maîtres de la ligne claire sur qui il fait souffler un rafraîchissant vent de modernité… Si sens du cadrage et sa parfaite maîtrise du mouvement font merveille dans les scènes calmes, elles s’avèrent plus impressionnantes encore dans les scènes d’action échevelées… La fusillade de l’Hôtel Piave restera sans contestes dans les annales comme l’une des plus déjantées du neuvième art, de même que cette course poursuite costumée totalement incongrue…
Jean-Christophe Thibert semble prendre un plaisir jubilatoire et communicatif à mettre en scène une galerie de personnages particulièrement soignée, avec des trognes incroyablement expressives… Telle celle de Jules Lantier, Hitler malgré lui qui n’en peut plus de servir de cible à tous les espions qui gravitent autour de lui…
Et que dire de la couleur sobre et élégante de Pixel Vengeur qui cadre parfaitement à l’ambiance et à l’époque du récit?

Le soin apporté au détails est saisissant, plongeant littéralement le lecteur dans l’ambiance délicieusement rétro de la fin des années 50. Rien ne semble avoir été laissé au hasard et sans doute a-t-il fallu de longues recherches iconographiques pour recréer fidèlement décors et costumes d’époque…

Il faut tuer Hitler est un album truculent en tous points jubilatoire. Porté par un scénario dynamique et totalement barré, improbable mélange de de Lautner et de Blake Edwards, des dialogues finement travaillés et une galerie de personnages truculents, il est pour nous l’un des albums incontournables de ce premier trimestre…

Ceux qui ont lu et (forcémment!) apprécié le premier opus de la série se rueront se ruer sans tarder sur ce second tome, meilleur encore que le premier qui, pourtant, plaçait déjà la barre haute… Nous ne pouvons que conseiller aux retardataires d’enfourcher leur vespa et de rouler à toute blinde vers la librairie la plus proche de leur domicile pour de découvrir le formidable travail de cet auteur trop rare au talent saisissant… Un des gros coups de cœur de ce début d’année…