


Taïpi - Un paradis cannibale est un récit d’aventure captivant de Stéphane Melchior et Benjamin Bachelier, le duo qui avaient signé la remarquable adaptation de
Gatsby le magnifique, chef d’œuvre de Francis Scott Fitzgerald.
1841. Lorsque leur baleinier accoste aux Marquises, Tom et Toby voient là l’occasion rêvée de déserter le navire suite à une campagne de pêche désastreuse menée par un capitaine incompétent et autoritaire. Profitant d’une permission, malgré les risques encourus et les dangers qui rôdent sur l’île, ils prennent la fille de l’air, persuadés que leurs compétences en orientation suffiront à leur faire éviter la partie de l’île peuplée des Taïpi, une tribu cannibale.
Las! Rien ne se passe comme prévu et ils se perdent bien vite dans la jungle luxuriante… Jusqu’à ce qu’ils soient recueillis par les Hapaas, une tribu en guerre contre les Taïpi… Mais les apparences sont parfois trompeuses…

Stéphane Melchior s’empare à présent du premier roman d’Hermann Melville,
Taïpi (
Typee: A Peep at Polynesian Life en V.O.) pour en signer une adaptation pour le neuvième art. Ce récit autobiographique relate les pérégrinations de l’auteur de
Moby Dick, alors qu’il avait déserté l’Acushnet en compagnie de Richard Tobbias Green, le fameux Toby du récit.
Dès les premières pages, la magie opère. On est littéralement happé par le récit quasi initiatique de ces deux marins épris de liberté… Lorsqu’ils comprennent qu’ils sont tombés entre les mains des Taïpi réputés pour être cannibales, ils pensent que leur vie ne tient qu’à un fil ténu… Avec finesse et au travers de flashback très subtilement écrits, l’auteur nous permet de comprendre les raisons qui ont poussé le jeune Tom à embarquer à bord du baleinier, nous permettant de mieux comprendre qui il est pour mieux appréhender la façon dont il va découvrir une culture aux antipodes de la sienne…
La force de ce récit réside dans la formidable capacité de l’auteur à osciller entre la peur inspirée par les Taïpi et la fascination qu’exerce leur culture sur le jeune écrivain, avec une mise en abîme vertigineuse: que craint finalement Tom, avatar d’Hermann Melville? Être dévoré physiquement ou se fondre peu à peu dans une culture qui le trouble et l’ensorcèle et de devenir lui-même cannibale?

Graphiquement, Benjamin Bachelier signe une fois encore un album superbe. Evoquant par son trait épuré et ses couleurs lumineuses et chaleureuses les toiles de Paul Gauguin, la couverture attire autant qu’elle intrigue le lecteur. Portées par son trait énergique et spontané évoquant un carnet de voyage, les planches de l’album sont superbement expressives, entraînant le lecteur à la découverte d’une culture aussi inquiétante que fascinante… On appréciera le clin d’œil des auteurs à
La Grande Traversée où nos deux héros gaulois tentaient d’expliquer sans les mots qui ils étaient…
Taïpi - Un paradis cannibale est un récit dépaysant où l’anthropophagie s’efface peu à peu devant l’anthropologie alors que le jeune Tom découvre la culture de la tribu Taïpi.
Porté par le dessin expressif et plein de spontanéité de Benjamin Bachelier, Stéphane Melchior signe une remarquable et passionnante adaptation du roman autobiographique d’Hermann Melville, sans doute le plus grand romancier de la mer… Difficile de ne pas songer à cet aphorisme de Melville tant il semble coller à ce récit: « L'ignorance est la mère de l'épouvante ».
(*) Extrait de Moby Dick d’Hermann Melville