Avec les amants effroyables Wilfrid Lupano et Yannick Corboz mettent un point final à leur récit envoûtant et glaçant qui nous entraînent dans le Paris foisonnant de la fin du XIXème…

Paris, 1900. Avec sadisme et perversité, Alec a ouvert à Victor les portes de la haute société, lui faisant découvrir des plaisirs voluptueux insoupçonnés avant de lui claquer la porte au nez, le chassant du Paradis…

Après avoir ardemment désiré assassiner Léna pour faire souffrir Alec comme il l’a fait souffrir, Victor l’a finalement sauvé alors qu’elle tentait de mettre fin à ses jours... Comment dès lors faire payer son ancien mentor qui semble poursuivre son œuvre destructrice et suicidaire? Lorsqu’il découvre que ce dernier a poussé un couple d’anarchistes à faire exploser le prestigieux Palais de l’Electricité, a attraction phare de l’Exposition Universelle de la ville Lumière… Victor croit tenir sa vengeance… Il se trompe lourdement…

On pensait que le final de l’Assassin qu’elle mérite ne pouvait qu’être tragique mais on était bien loin de soupçonner une telle conclusion… Avec un talent incroyable Wilfrid Lupano signe un scénario de haute tenue, porté par des personnages atypiques, enfants de ce siècle agonisant plein de contrastes. Ville d’ombres et de lumière, Paris parait le cadre idéal pour servir d’écrin à la conclusion de ce récit solidement charpenté. Le scénariste s’est amusé à prendre le lecteur à contre-pied, à le bousculer pour lui faire perdre ses repères, révélant un Alec, dandy malsain et cynique, certes monstrueusement mais au final tragiquement humain… Avec une inventivité saisissante, l’auteur s’est efforcé d’esquisser pour chacun des principaux personnages de cette tragédie une chute impromptue finement ciselée… Le regard glaçant de Victor sur la dernière case de la dernière planche laisse penser que le sinistre plan d’Alec a finalement porté ses fruits…

Graphiquement, le trait épuré et sensuel de Yannick Corboz n’a cessé d’évoluer. Le dessinateur, qui avait déjà travaillé avec Wilfrid Lupano sur la superbe série poético-comique Célestin-gobe-lune signe un album somptueux. Sublimées par les couleurs subtiles de Sébastien Bouët, ses planches, très lumineuses, sont remarquablement bien découpées, mettant en scène avec finesse les sentiments qui animent et agitent les différents protagonistes, accentués par des poses théâtrales particulièrement bien senties. Muette, la page 29 est un petit bijou de composition dont la mise en scène redoutablement efficace s’avère bien plus percutante que ne l’aurait été un long discours… La couverture est quant à elle, comme de coutume, magnifique…

Wilfrid Lupano et Yannick Corboz mettent un point final à cette série fascinante et malsaine qui, au travers du destin croisé et fascinant d’une poignée de personnages très travaillés, décrit une époque très contrastée écartelées entre opulence et la pauvreté. Alors que le progrès illumine Paris de mille feux, les masses laborieuses se sentent plus que jamais exclus de la société moderne qui s’esquisse dans ce XXème siècle qui s’annonce…

Le talentueux Wilfrid Lupano parvient à clore son récit de façon totalement inattendue, menant chaque personnage au bout de son cruel ou prometteur destin… Une série incontournable, magistralement orchestrée et portée par le dessin virtuose et élégant de l’incroyable Yannick Corboz…