Criminal fait partie de ces séries que tout amateur de polar se doit de lire, tant pour sa qualité d’écriture que pour son dessin nerveux et redoutablement efficace… Avec le talent qu’on leur connaît, Ed Brubaker et Sean Phillips poursuivent leur polar sanglant, explorant avec art les différents registres du genre…
Ce septième opus de Criminal nous propose deux récits imbriqués…
Au mauvais endroit… Mars 1976. Après un braquage de fourgon réussi, Teeg Lawless passe quelques semaines à l’ombre pour une bête affaire de non comparution pour délit routier. Il n’a plus que quelques jours à tirer lorsqu’il est convoqué par le caïd des lieux… Il comprend bien vite que c’est à sa vie qu’on en veut… Il ne sait pas qui ni pourquoi, mais quelqu’un a placé un contrat sur sa tête…
Au mauvais moment… Eté 1979. Teeg embarque son gamin Tracy pour régler une sombre affaire. Chez un marchand de comics, Tracy va croiser une petite peste du nom de Gabby. Faisant fi des conseils de son paternel, il va lier connaissance et se rapprocher d’elle… Sans prendre d’emblée conscience du danger qu’il lui fait courir…
Signé par l’incroyable Ed Brubaker, le scénario en lui-même tiendrait presque sur un ticket de métro. Mais l’auteur n’a pas son pareil pour poser des atmosphères sombres et poisseuses à souhait porté par de parfaits connards amoraux et sans scrupules. Si le récit peut à nouveau se lire indépendamment des tomes précédents, il s’avère plus pesant encore lorsqu’on connaît le passif des principaux protagonistes.
Si le premier récit se centre sur Teeg Lawless qui va passer de biens sales moments alors que quelqu’un a posé un contrat sur sa tête, le second se centre sur son fils qui a perdu ses dernières illusions sur son connard de père qui poursuit une odyssée violente et sauvage…
Difficile une fois encore de ne pas être séduit par la narration parfaitement maîtrisée d’Ed Brubaker. Chacun de ses récits est une petite merveille de construction, rythmé par des comics pulps imaginaires rendant hommage aux classiques de l’époque et entrant subtilement en résonnance avec chacune des histoires.
Dessinateur virtuose, Sean Phillips signe une fois encore des planches superbes qui immergent avec une facilité déconcertante le lecteur au cœur de l’action. Son encrage soigné et ses grands aplats de noir soulignent à merveille l’ambiance oppressante de la prison où Teeg Lawless s’efforce de survivre ou la menace sourde qui plane sur ceux que côtoient le jeune Tracy. Ses cadrages sont comme de coutume d’une redoutable efficacité, accentuant avec force l’aspect très cinématographique de la série.
Il aura fallu attendre six longues années pour lire la suite de ce récit concocté par Ed Brubaker et superbement mis en image par le virtuose Sean Phillips. Mais quel plaisir que de se retrouver une nouvelle fois immergé dans l’univers sombre et poisseux concocté par ces deux maîtres du polar!
Au fil des albums, les deux auteurs nous entraînent dans un récit choral parfaitement orchestré, tissant une chronique violente et sanglante de l’Amérique. Rehaussé par une mise en abîme de l’histoire par le truchement de comics, Au mauvais endroit… confirme que Criminal fait partie des meilleurs polars du neuvième art…
Dans le temps, je me sentais désolé pour lui quand il était comme ça. Comme s’il était blessé qu’on se souvienne de ses mauvais moments. Comme si on était dans la famille Brady ou une série du genre… et que je gâchais tout. Mais mai ntenant je ne me sens plus désolé pour lui. C’est fini ça.Tracy Lawless