Après un premier tome pour le moins convaincant, Serge Scotto et Eric Stoffel entraînent à nouveau le lecteur aux Bastides Blanches pour le deuxième mouvement de cette première partie du diptyque baptisé l’
Eau des Colline…
Pour César Soubeyran, son neveu Ugolin est l’avenir de sa lignée. Aussi, lorsque ce dernier souhaite se lancer dans la culture des œillets, fleur nécessitant beaucoup d’eau, il songe d’emblée aux Romarins, terrain appartenant à Piquebouffigue qui a l’avantage d’être alimenté par une source… Mais en raison d’une vieille querelle, le vieil homme refuse de le lui vendre… Lorsqu’il meurt accidentellement, le vieux Soubeyran, espérant pouvoir acheter le terrain à vil prix, en bouche la source…
C’est alors que Jean de Florette, un percepteur bossu désireux de se faire paysan, accompagné de sa femme et de sa fille, vient pour prendre possession de son héritage, en tant que neveu de Piquebouffigue… Ecoutant les conseils avisés de son Papet, Ugolin feint de devenir son ami… Malgré ses savants calculs et la chance insolente du débutant, Jean s’épuise à la tâche, s’échinant à chercher de l’eau à des lieux de ses champs, ignorant qu’il y a peu encore une source coulait aux Romarins…
Publié une dizaine année après le film
Manon des Sources,
L’Eau des Colline explore les sombres recoins de l’âme humaine… Le premier volet,
Jean de Florette nous raconte comment César Soubeyran, dit le Papet, vieil homme riche, aigri et célibataire, est prêt à tout pour racheter les terres des Romarins pour que son petit fils fasse un beau mariage et perpétue la lignée… Il regardera amusé le pauvre Jean de Florette se tuer à la tâche et méprisera les faiblesse de son neveu Ugolin qui s’est peu à peu pris au jeu de l’amitié qu’il a trop bien joué…
Sentant bon la Provence, les dialogues fleuris et truculents de Marcel Pagnol se lisent avec un plaisir jubilatoire, même si son propos est plus amer qu’à l’accoutumée. L’auteur pose un regard lucide et mordant sur la cupidité et les préjugés de l’homme et le roman est une critique acerbe de la société dans laquelle les puissants n’hésitent pas à sacrifier les rêveurs sur l’autel du profit…
Difficile de ne pas être touché par le tragique destin de Jean de Florette, homme naïf et idéaliste rêvant d’une vie simple et authentique qui évoque à sa manière de Don Quichotte de Cervantès et qui va voir ses rêves se fracasser sur les réalités de la vie paysanne. Toutefois, à leur manière, Ugolin et le Papet s’avèrent eux aussi touchants. Le premier parce qu’en plus d’être un travailleur acharné, il est plus bête que méchant et souffre des malheurs de Jean de Florette dont il convoite pourtant la terre… Le second parce qu’il n’agit pas par appât du gain mais pour que lui survive le nom des Soubeyran… Et ce qui apparaît être pour le vieillard une véritable obsession rendra la fin du second volet plus subliment tragique encore… Comme de coutume, le romancier a su créer des personnages riches et ambivalents, avec cette part d’ombre et de lumière qui les rend si profondément humains et Serge Scotto et Eric Stoffel parviennent à les restituer avec une grande justesse.
Après avoir mis en image
le fils de l’officier,
Moses Rose ou
la Petite Fille qui voulait voir la guerre, Christelle Galland nous entraîne à présent dans la Provence si chère à Marcel Pagnol. Son trait semi-réaliste est une petite merveille d’expressivité. Les postures parfois théâtrales qu’elle fait adopter à des personnages formidablement expressifs renforcent le comique ou le tragique de chaque situation, accentuant de façon saisissante la dramaturgie du récit. Son découpage est quant à lui particulièrement fluide alors que les couleurs de Yoann Guillé baignent le récit d’une lumière savamment travaillée…
Alors que Christelle Galland remplace Alexandre Tefenkgi aux crayons, Serge Scotto et Eric Stoffel parachèvent leur adaptation de l’un des romans les plus célèbres de Marcel Pagnol…
Dans Jean de Florette, version romancée de son film Manon des Sources, l’auteur pointe la cupidité et les préjugés en tissant un drame implacable aux allures de conte mettant en scène des personnages profondément et tragiquement humains… Les deux scénaristes nous livrent une fois encore une formidable adaptation et il nous tarde de lire Manon des Sources qui verra la jeune fille se venger des bourreaux de son père…
Décidemment, cette ambitieuse collection de chez Bamboo s’avère être une remarquable occasion de découvrir ou de redécouvrir l’œuvre intemporelle de Marcel Pagnol et de se laisser envoûter par son sens des dialogues ciselés et ses indéniables talents de conteur…
Ô Papet, laisse-le faire à sa manière… C’est peut-être pas la bonne, mais c’est la meilleure pour nous !Ugolin