Publié en Italie en 1967 dans les pages du magazine Sgt. Kirk,
La Ballade en Mer Salée marquait les débuts des aventures d’un marin maltais énigmatique, anarchiste et romanesque : Corto Maltese… Il n’était alors qu’un personnage parmi d’autres mais, même s’il l’ignorait, était destiné à devenir l’une des figures emblématiques du neuvième art. La disparition d’Hugo Pratt au milieu des années 90 aurait pu sceller son destin mais c’était sans compter l’audace de Juan Díaz Canales et Ruben Pellejero qui ont remis en scène ce gentilhomme de bonne fortune… Certains ont crié à l’hérésie lorsqu’est paru
Sous le soleil de minuit… Mais il faut se rendre à l’évidence : les auteurs espagnols ont pris soin de l’héritage de Pratt, conservant l’esprit aventureux et poétique de ses albums…
Le jour de Tarowean s’avère plus audacieux encore que les deux tomes précédents puisqu’il propose rien de moins qu’un prequel à la somptueuse et romanesque
Ballade en Mer Salée. Ce chef d’œuvre du neuvième art s’ouvrait sur un marin, qui s’avérerait être Corto Maltese, attaché pieds et poings liés sur un radeau de fortune, sans qu’on sache trop comment il s’était retrouvé en pareille posture… si ce n’est qu’une mutinerie avait éclaté sur la bateau dont il était capitaine, parce que Corto a trahi sa promesse d’épouser la sœur de son second…
Tasmanie, automne 1912. Corto et Raspoutine participent à la libération de Calaboose, un jeune homme tourmenté emprisonné volontaire sur une île abandonnée. Contraint à les suivre, ce dernier les accompagne à Bornéo où ils rencontrent le sultan de Saraak régnant sur le lucratif commerce de l’hévéa, si précieuse pour l’Empire Britannique…
Tous l’ignorent encore mais Calaboose n’est qu’un pion dans la partie d’échec servant les sombres desseins du Moine pour avoir la main mise sur les îles alors que se profile un conflit qui allait embraser le monde…
S’il fallait une certaine audace pour reprendre le personnage emblématique de Corto Maltese, sans doute en fallait-il plus encore pour écrire un prequel répondant à une question que tous les lecteurs de Corto Maltese se sont un jour posé : qu’est ce qui avait pu conduire Corto Maltese à dériver crucifié à un radeau de fortune perdu au milieu de l’océan ?
On retrouve dans ce quinzième opus des aventures du marin maltais tout ce qui fait le charme de ceux écrit par l’immense Hugo Pratt : un récit aventureux où se mêlent éléments historiques et fictionnels mais aussi rêves et réalité… Une douce mélancolie perceptible dès les premières pages où l’on voit Corto dans un cimetière s’entretenir avec des personnes défuntes dont il a croisé la route… Des personnages baroques et décalés que l’on retrouve avec plaisir, tels Raspoutine, Cranio ou le mystérieux et inquiétant Moine… Mais aussi une sirène amoureuse d’un jeune homme fuyant un monde trop inquiétant en passe d’être rattrapé par son passé… Une intrigue délicieusement alambiquée mêlant politiques et ambitions personnelles… et des indigènes corrompus par la rapacité et la cruauté des occidentaux alors que se profile le spectre de la Grande Guerre… Au milieu de tout ce petit monde, Corto Maltese qui va, comme de coutume, jouer sa propre partition, au risque de tout perdre…
Le dessin de Ruben Pellejero s’inscrit dans l’esprit de celui d’Hugo Pratt tout en lui insufflant une part de sa personnalité. Faisant la part belle aux ombres, son encrage s’avère tout à la fois précis et élégant et la mise en couleur, réalisée à quatre mains par le dessinateur et Sasa semble s’intégrer davantage à la narration, contribuant à soigner les ambiances qui émaillent le récit, alors que les albums de Pratt furent mis en couleur après coup…
Les mythes sont immortels… Et en tant que figure iconique de la BD d’aventure, Corto Maltese devait survivre à son créateur et poursuivre ses aventures… Au fil des tomes, Hugo Pratt a tissé un canevas et fait voyager ses êtres de papier aux quatre coins du globes… Avec audace et talent, Juan Díaz Canales et Ruben Pellejero s’engouffrent dans un non-dit du destin du célèbre marin pour proposer un prologue cohérent et entraînant à la Ballade en Mer Salée, première aventure de Corto Maltese…
Le récit s’amorce une année, jour pour jour, avant que ne commence la fameuse ballade… Les deux auteurs catalans s’inscrivent dans le sillon tracé par la plume du maître italien, s’abreuvant aux mêmes sources et mêlant avec art poésie, Histoire, fiction, rêve et réalité, le tout balayé par le souffle mélancolique de l’Aventure et du romanesque…
Ce quinzième tome s’avère tellement entraînant qu’une fois refermé, on n’a qu’une envie : se replonger dans la lecture de la Ballade en Mer Salé…
- Un nigaud, un fou et un infirme… Tu parles d’une équipe !
- Il ne nous manquait qu’un bouffon, mais apparemment, le voilà qui arrive. Les remords t’empêchaient de dormir ou bien tu as eu peur de briser le tabou des perles ?
- Tu n’es qu’un crétin mais au moins tu sais t’amuser Corto Maltese. Je commençais à m’ennuyer à plumer ces chinois.discussion entre Raspoutine et Corto Maltese