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L'Apiculteur d'Alep
L'Apiculteur d'Alep



Fiche descriptive

Littérature Générale

Christy Lefteri

Le Seuil

5 mars 2020


20€

9782021417111

Chronique
L'Apiculteur d'Alep
L'odyssée de Nuri

Nuri est apiculteur, sa femme, Afra, est artiste. Ils vivent tous deux avec leur jeune fils, Sami, dans la magnifique ville d'Alep, en Syrie. La guerre éclate et ravage tout, jusqu'aux précieuses ruches de Nuri. Et l'inimaginable se produit. Afra ne veut plus bouger de sa chambre. Pourtant, ils n'ont pas le choix et Nuri déploie des trésors d'affection pour la convaincre de partir.

Fous de douleur, impuissants, ils entament alors un long périple où ils devront apprendre à faire le deuil de tout ce qu'ils ont aimé. Et apprendre à se retrouver, peut-être, à la fin du voyage, dans un Londres où les attendent des êtres proches. Pour reconstruire les ruches et leur vie.
un excellent bouquin!


L'odyssée de Nuri
Nuri Ibrahim vit en Syrie, à Alep, avec sa femme Afra, artiste peintre, et leur petit Sami âgé de sept ans. Ils coulent des jours tranquilles. Nuri est apiculteur : c’est sa passion. Il aurait dû être tailleur, comme son père, mais il a choisi de suivre la voie de son cousin Mustafa. Leur affaire prospère et se diversifie : ils vendent dans leur jolie boutique du miel de toutes sortes mais aussi des cosmétiques et des compléments alimentaires fabriqués à partir de leurs ruches. L’avenir s’annonce riant mais la guerre éclate et l’inimaginable se produit ….


Une tragédie syrienne
Durant l’été 2016, Christy Lefteri, l’autrice, est partie à Athènes où elle a passé deux mois à travailler dans un centre d’accueil pour des femmes et des enfants réfugiés. C’est là que l’idée de son roman a germé. Elle a alors décidé d’apprendre l’arabe pour revenir dans ce centre l’été suivant. Elle a longuement discuté avec son professeur particulier originaire d’Alep ainsi qu’avec ses propres parents d’origine chypriote qui ont fui leur pays dans les années 1970. Lors de son deuxième séjour au Hope Center d’Athènes, elle, qui était psychothérapeute de formation, a recueilli à nouveau de nombreux témoignages bouleversants.

Il me semble que c’est là une des grandes forces du roman : l’autrice choisit de donner la parole à son personnage Nuri. Tout passe par son regard et même doublement parfois car il doit « traduire » ce qu’il voit à sa femme Afra devenue aveugle à la suite d’une explosion. La tragédie syrienne est donc en quelque sorte « personnalisée » puisqu’elle a désormais un visage : celui de Nuri, d’Afra, de Mustafa et de leurs proches. La narration à la première personne permet l’identification du lecteur qui ressent les émotions du protagoniste. L’écriture de Christine Lefteri est très synesthésique : elle fait appel aux cinq sens en permanence. Grâce à son expérience personnelle (Chypre n’est pas loin de la Syrie), grâce aux récits de son professeur, elle arrive à faire vivre Alep : ses descriptions sont très immersives. Nous imaginons sans peine les couleurs des marchés ouverts, les senteurs de la boutique de Mustafa ou des fleurs du citronnier de la petite cour, le soleil brûlant du désert, le goût du miel et des épices et nous entendons le bourdonnement des abeilles. A ces tableaux si vivants du bonheur de jadis, sorte d’équivalent écrits des vibrants dessins d’Afra, se juxtaposent ceux d’Alep en guerre : « Le matin, l'appel du muezzin invitait les maisons vides à la prière. Je sortis pour essayer de trouver de la farine et des œufs, car il n'y avait presque plus de pain. Je marchais dans la poussière. Elle était si dense qu'on avait la sensation de patauger dans la neige. Il y avait des voitures carbonisées, des cordes à linge avec des vêtements crasseux sur des terrasses abandonnées, des fils électriques qui pendouillaient dans les rues, des magasins éventrés, des immeubles au toit arraché, des tas d'ordures sur les trottoirs. Ça puait la mort et le caoutchouc brulé. Au loin, des serpentins de fumée s'élevaient dans le ciel. J'avais la bouche sèche, les mains crispées et tremblantes. Je me sentais prisonnier de ces rues distordues ». Les cinq sens sont toujours convoqués, mais cette fois de façon dysphorique : au bonheur évoqué succède le malaise et le malheur et l’absence de transition rend le contraste encore plus saisissant pour le lecteur.

Un amour à la dérive
La composition très originale de l’œuvre permet aussi de montrer le déracinement des héros. Le roman commence par la fin : on sait d’emblée que Nuri et sa femme sont arrivés en Angleterre mais l’on va découvrir à quel prix. Chacun des treize premiers chapitres sur les quatorze que contient le roman est scindé en deux : le début raconte l’attente du couple pour sa régularisation dans une ville portuaire anglaise tandis que la fin narre les étapes de leur odyssée. A peu près à la moitié des chapitres, un ou deux mots en caractère gras, isolés sur une page, forment à la fois les derniers mots du récit « anglais » et les premiers mots de celui du « périple ». Ces mots « en gras » ramènent Nuri dans ce qui est arrivé auparavant, comme cela peut nous arriver dans la vie quotidienne quand un mot, un son ou une odeur nous rappellent un souvenir ancien.

Mais ici rien sur la nostalgie de l’enfance à la différence de la grive de Châteaubriand ou de la madeleine de Proust ! Ce procédé (qui est tout de même un peu redondant sur la fin) permet de mettre en évidence le fait que le passé et le présent sont indissociables et que les traumatismes subis sont à jamais présents dans cette famille : le moindre bruit, la moindre sensation peut les faire ressurgir… C’est un moyen très intéressant de nous faire ressentir le syndrome post traumatique tout comme l’utilisation d’une écriture parfois onirique voire fantastique dans laquelle on ne sait plus si Nuri rêve (ou plutôt cauchemarde) ou s’il est dans la réalité.

Lors de l’évocation de l’odyssée du couple, on retrouve certains épisodes déjà vus ailleurs en littérature y compris dans la bande dessinée : je pense aux scènes de naufrages ou de passeurs véreux dans « Eldorado » de Gaudé ou « Une Maternité rouge » de Lax mais c’est la triste réalité et il est bon de la rappeler encore et toujours. Le roman de Lefteri acquiert cependant un supplément d’âme par son absence de manichéisme : les pires salauds sont capables de jouer superbement d’un instrument traditionnel et le héros, si bon, va pourtant commettre un acte odieux…. C’est une œuvre profondément humaine aux portraits extrêmement touchants : Angeliki, Diomane ou le marocain sont très bien individualisés et vous accompagneront longtemps car au sein de la noirceur, il y a une belle solidarité et de vrais liens se créent. Ce qui m’a bouleversée, c’est aussi l’histoire de ce couple : la tragédie syrienne se double d’une tragédie personnelle et pendant la quasi-totalité du roman on assiste à la déliquescence des sentiments, à l’éloignement d’un couple qui s’aimait follement. Ils deviennent presque étrangers l’un à l’autre puisqu’« aimer c’est regarder dans la même direction » et qu’Afra ne voit plus ce qui est tandis que Nuri voit ce qui n’est plus. La douleur psychique et le deuil sont particulièrement et très délicatement mis en scène ici … c’est un sentiment universel qui renforce encore notre participation empathique et rend la leçon de résilience finale encore plus prégnante…


Ce très beau roman de Christy Lefteri raconte le périple de Nuri et sa femme qui ont dû fuir Alep après la destruction de leurs ruches et une perte irrémédiable. Le couple permet d’incarner ce le destin tragique de milliers de migrants qui chaque année débarquent sur les côtes européennes et se retrouvent parqués dans des centres ou agglutinés dans des parcs dans l’attente d’un hypothétique titre de séjour. Cette œuvre est remarquable par son aspect documenté et documentaire tout d’abord mais surtout pour son côté profondément poétique (dans sa narration comme sa composition) et humain.

Le dessin prenait forme peu à peu. Je reconnaissais les coupoles, les toits plats. Au premier plan, elle ajouta des feuillages et des fleurs qui s'enroulaient sur la rambarde. Puis, elle assombrit le ciel avec du violet, du brun et du vert. Elle ignorait quelles teintes elle utilisait, elle savait seulement qu'il lui en fallait trois pour le ciel. Elle suivait les contours du paysage du bout de ses doigts, pour s'assurer que la couleur ne débordait pas sur les maisons.

- Comment tu fais ?
- Aucune idée , répondit-elle, avec une brève lueur de joie dans le regard. C'est beau ?
- C'est magnifique.

Bizarrement, elle cessa aussitôt de dessiner, si bien que la partie droite resta sans couleur. Je songeai aux rues grises détruites par les bombes. La guerre avait décoloré le monde. Tué les fleurs. Elle me tendit la feuille.
- Ce n'est pas terminé.
- SiNuri et Afra p.186

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