Voilà plusieurs jours que Bragante, fille du Roi, refuse de s’alimenter… Elle est lasse de vivre et décide de révéler à Elmire, sa petite-fille, des pans méconnus de son histoire…

Traumatisée par l’accouchement durant lequel une maîtresse de son père perdit la vie, elle s’est juré de ne jamais enfanter. Instruite et lettrée, elle fait construire une immense bibliothèque où elle a à cœur de réunir les livres contenant le savoir des humains… Première-née du fondateur de la lignée, elle a la charge d’éduquer ses jeunes frères et sœurs et son instruction lui rend insupportable son enfermement…

Mais son père songe déjà à sa succession et compte lui faire épouser le plus méritant de ses frères… Ce à quoi Bragante se refuse… Pour échapper à son funeste destin, elle fomente un complot contre son royal père avec le concours d’Aristobull, le plus sage de ses frères… Mais le cruel Orobaal surprend leur conversation et s’empresse de l’occire son frère avant de la dénoncer à son père…

C’est non sans un pincement au cœur que nous avons ouvert cet album, dernier signé par le regretté Hubert, conteur subtil et coloriste talentueux… On lui doit de sublimes chef-d’œuvre, tels le Boiseleur, le Leg de l’Alchimiste, Miss pas Touche, Peau d’Homme, Monsieur Désire ? ou Beauté, pour n’en citer qu’une poignée… Sans oublier cette formidable saga qu’est celle des Ogres-dieux dont chaque tome vient enrichir cet univers cruel et envoûtant en étoffant l’histoire familiale d’une lignée de tyrans et en composant de saisissants portraits des membres de cette étrange famille et des liens complexes et tortueux qui les unissent…

Ce quatrième et ultime opus des Ogres-dieux nous conte la vie de Bragante, première née du Fondateur… Vivant enfermée mais éprise de liberté, elle va s’efforcer de saper le pouvoir patriarcal imposé par un père cruel et autoritaire pour qui les femmes ne sont rien d’autre qu’une matrice à même d’assurer la pérennité de la lignée qu’il a fondé… Bragante, qui fut la mère adoptive de ses demi-frères et sœurs, a été éduqué et instruite par sa tante… Et le savoir qu’elle possède grâce aux livres qu’elle aime tant lui donne mesure du rôle ingrat auquel la destine son père, source de ses souffrances et de son malheur… Et si elle n’aura de cesse que de tenter d’échapper à son destin, dut-ce-t-elle comploter contre son propre père, que pèseront ses connaissances dans un monde où la force brute et la cruauté règnent en maître ?

Si le récit d’Hubert prend des résonances particulières en cette période de confinement où les livres ont été relégués au rang de biens secondaires, difficile de ne pas une fois de plus être bluffé par l’élégance du travail graphique de Bertrand Gatignol. Son trait est une petite merveille d’expressivité qui retranscrit de façon délicieusement théâtrales la violence des passions qui animent chacun des protagonistes de ce drame familial implacable. Mais si son travail sur les expressions et les postures des personnages est saisissant, c’est le soin apporté aux cadrages qui confère à chacune de ses planches une puissance peu commune en donnant la mesure du gigantisme qui baigne le récit… Le découpage resserré fait ressentir avec force le sentiment d’oppression qui écrase Bragante, enfermée dans le gynécée, donnant à ressentir au lecteur son désir farouche de liberté.

A l’instar de Petit, Demi-Sang et du Grand Homme, l’album enchaîne bande-dessiné et textes illustrés pour lesquels l’artiste change subtilement de style avec un travail sur les trames évoquant les gravures des les livre de contes. Savamment orchestrée, cette alternance enrichit de façon vertigineuse le récit et la trame d’envergure que tissent les auteurs au fil des tomes, le dernier texte refermant l’ouroboros scénaristique amorcé par Hubert il y a de cela six années de façon saisissante…

Complots, trahisons, lutte d’influences et de pouvoir sont au menu de ce contre sombre et cruel remarquablement orchestré par Hubert et somptueusement mis en scène par le trait puissant et élégant de Bertrand Gatignol dont les cadrages virtuoses servent remarquablement ce récit…

Revenant aux origines de la lignée des Ogres-dieux, l’album met en lumière la vie de Première-Née, fille aînée du Fondateur, géniteur du Clan des Géant aux allures de Raspoutine… Incarnant la lutte de la lumière contre les ténèbres, de la civilisation contre la barbarie, elle va consacrer sa vie à tenter de renverser l’ordre établi et donner aux femmes le rôle qui leur est dû…

Prenant place dans la somptueuse collection Métamorphose, l’album est de plus superbement édité, conférant au lecteur la délicieuse et envoûtante impression de lire un livre de contes… Avec Première-Née se referme l’ouroboros scénaristique imaginé par Hubert, auteur majeur du neuvième art trop tôt disparu…

La saga des Ogres-dieu est d’ores et déjà un monument du neuvième art qui ravira les amateurs de contes gothiques sublimes et terrifiants…

Après sa mort, j’ai retrouvé les écrits de ma tante et je sais qu’elle pensait bien faire… Mais parfois, je me dis que j’aurais été plus heureuse si j’étais restée ignare, inconsciente de l’injustice du sort auquel mon père me réduisait. La lucidité est un mal sans remèdes. Bragante