1826… Voilà près quarante ans que l’Astrolabe et la Boussole avait disparu corps et âme en Océanie…
Aussi, lorsque le Capitaine marchand Peter Dillon affirme avoir retrouvé trace de l’expédition scientifique de Jean-François de La Pérouse, Barthélemy de Lesseps, ancien compagnon de l’officier de marine, désire ardemment le rencontrer…
Le marin lui raconte alors comment et pourquoi il s’est lancé à la recherche de l’épave des deux vaisseaux et la façon dont il put acquérir les reliques de l’expédition disparue…
Cet album n’est pas le premier à s’intéresser à cette funeste expédition scientifique… Avec son
Vanikoro, Patrick Prugne avait notamment mis en scène avec son talent époustouflant le naufrage de l’Astrolabe et de la Boussole alors que le passionnant Jean-Yves Delitte revenait sur quelques moments clefs de cette expédition… Mais celle de Boris Beuzelin s’intéresse à Peter Dillon qui, le premier, a retrouvé des traces tangibles du naufrage de ces deux navires qui devaient assurer à la France une domination scientifique à défaut de pouvoir s’imposer militairement sur les mers…
Son Dillon est sans doute plus romanesque que ne le fut le marin qui lui servit de modèle… Mais le fait est qu’on se laisse entraîner par son récit d’aventure d’autant plus captivant que Dillon lui-même en est le narrateur, interrompu parfois par Lesseps qui l’écoute d’une oreille attentive et critique… Son histoire s’inscrit dans la lignée des romans d’aventures maritimes qui ont de tous temps fasciné les lecteurs et on le suit de l’amorce de sa quête jusqu’à son terme… Découvrant par hasard la garde d’une épée d’officier du Roi de France, il a l’intuition qu’elle a pu appartenir à l’un des officiers servant à bord de l’un des deux navires de l’expédition La Pérouse. Ce n’est d’ailleurs pas tant pour exhumer l’épave de l’un de ces navires qu’il monte une expédition mais bien pour retrouver ses éventuels rescapés…
S’il s’appuie sur des faits réels et avérés, l’auteur prend des libertés avec la véracité historique en comblant les zones d’ombres du récit de façon aussi séduisante que cohérente… Porté par de multiples récits enchâssés les uns dans les autres qui se complètent et s’éclairent mutuellement, la structure de son album s’avère tout à la fois exigeante mais indéniablement passionnante… Difficile de ne pas y voir une filiation avec les romans de Conrad ou de Stevenson dont les narrateurs rapportent bien souvent les propos d’autres protagonistes de l’histoire, composant un récit dense et délicieusement cohérent…
Boris Beuzelin place le lecteur dans la position d’un Lesseps cherchant à démêler le vrais du faux dans les propos du capitaine qui parle de découvertes dont il est le seul témoin… S’il est indéniablement charismatique, Dillon devient ambigu et on doute jusqu’au bout de la véracité de ses dires… On sent dans les dernières pages qu’il porte un lourd secret qu’il n’est pas décidé à livrer à ses interlocuteurs et la révélation finale n’en est que plus percutante et répond au sous-titre de l’album…
Graphiquement, Boris Beuzelin signe un album somptueux. L’élégance de son trait, son encrage épais et sa façon de structurer ses cases et ses planches par des masses sombres en jouant avec virtuosité sur les contrastes n’est pas sans évoquer le travail d’un Brüno ou d’un Nicolas Juncker. Mais l’auteur a développé un univers graphique très personnel, modifiant subtilement son trait chaque nouvelle série… Le dessinateur use avec art des couleurs pour soutenir l’action, à la manière d’une musique de film et ses cadrages s’avèrent tout à la fois pertinents et efficaces… Et que dire de cette couverture d’une rare élégance qui accroche d’emblée le regard et donne au chaland la furieuse envie de s’embarquer avec Dillon pour une aventure policière et maritime qu’on devine passionnante…
S’inscrivant dans le sillage des grands romans d’aventure de Joseph Conrad ou Robert Louis Stevenson et basé sur une solide documentation, Peter Dillon est un album exigeant mais en tous points captivant…
Il nous entraîne à bord du Research, navire de la Compagnie des Indes lancé à la recherche des vestiges de l’expédition Lapérouse, disparue en mer des décennies plus tôt. Superbement mis en image par le trait élégant jouant avec art sur les contrastes et les subtiles couleurs de l’auteur, le livre tiendra en haleine le lecteur de la première à la dernière page…
Un album envoûtant dores et déjà incontournable pour tout amateur de récits d’aventures maritimes, historiques et romanesques…
- C’est un très grand honneur de vous rencontrer, monsieur de Lesseps. J’espère que mes découvertes seront à la hauteur de vos attentes, ainsi que de celles du roi de France que j’imagine immenses.
- Laissons pour le moment l’imagination aux rêveurs, monsieur, et concentrons-nous sur les faits, je vous en prie.dialogue entre Peter Dillon et Barthélemy de Lesseps