Sur sa fiche d’admission au centre pénitentiaire d’Alcatraz, Frank Lee Morris il est mentionné que ce dernier, condamné pour braquage et détention de drogue, est un artiste de l’évasion… Et sa réputation n’est pas usurpée…
Dans la nuit du 11 juin 1962, il s’évade de la prison la plus sécurisé des Etats-Unis avec deux autres codétenus, les frères John et Clarence Anglin. L’alerte est donnée après que les gardiens aient découvert un mannequin dans leurs couches respectives et la repéré un trou creusé dans le mur en béton de chacune de leurs cellules.
Commence alors une gigantesque chasse à l’homme qui conclura à leur noyade… Mais les trois évadés ont survécu et, après s’être séparé, Frank Lee, blessé, perd connaissance dans la paisible bourgade de Boulinas où il allait être recueilli par les Leonetti, un couple qui, ayant perdu leur enfant unique, allait le considérer comme leur fils et le faire passer pour leur neveu…
Parmi les grandes évasions qui ont marqué les esprits, celle d’Alcatraz occupe un place de choix, tant à cause de sa dimension éminemment romanesque que de ce plan rocambolesque et pourtant parfaitement huilé mis en œuvre par les évadés…
L’Evadé d’Alcatraz, film sorti en 1979 écrit par Richard Tuggle et réalisé par Don Siegel et dont le rôle principal était tenu par Clint Eastwood, a sans nul doute contribué à forger et inscrire durablement la légende dans l’imaginaire collectif… Scénarisé par Hasteda et dessiné par Ludovic Chesnot,
Frank Lee, l’évadé d’Alcatraz en est en quelque sorte le prolongement du scénario du film : partant du principe que les trois évadés d’Alcatraz ne se sont pas noyés dans les eaux glaciale de la baie de San Francisco, quelle vie aurait pu avoir Franck Lee, le probable cerveau de cette incroyable évasion ?
Le récit concocté par Hasteda s’avère indéniablement captivant grâce au soin apporté à l’écriture de chacun des personnages, à commencer par celui de Franck Lee, bien évidemment.
Hasteda esquisse le portrait d’un homme qui, bien que libre, a laissé une partie de lui enfermé derrières les hauts murs en béton du pénitencier d’Alcatraz : ses nuits sont agitées, hantés par des cauchemars récurrents, et tout dans son quotidien le ramène à sa vie de prisonnier alors qu’il angoisse à la vue du moindre uniforme. Difficile pour lui de vivre l’instant présent tant il ne peut détacher ses yeux du rétroviseur… Mais les seconds rôles ne sont pas en reste, tel ce journaliste ambitieux dont les dents rayent le parquet, ce directeur de prison qui joue sa retraite sur cette affaire, cet enquêteur du FBI aux répartis cinglantes ou cet attachant couple Leonetti qui vit avec le douloureux souvenir de leur fils abattu par un rival amoureux.
S’étalant sur près de deux décennies, le scénario est innervé des grands évènements qui ont marqué leur époque : la mort de Marylin, l’assassinat de JFK, le mouvement Hippie, Charles Manson, le tueur du Zodiac, l’occupation d’Alcatraz par des activistes amérindiens… Tout ces faits ancrent le récit dans son époque et augmentant ainsi sa crédibilité. L’album est par ailleurs complété par un dossier qui revient sur Alcatraz et la retentissante évasion imaginée par Frank Lee, le tout agrémenté d’un carnet de croquis permettant d’apprécier le talent du dessinateur.
Le dessin anguleux de Ludovic Chesnot sert joliment ce récit aux accents de polars des années 60. J’avoue avoir été particulièrement impressionné par son encrage plein de souplesse et d’élégance qui retranscrit avec force et subtilité les émotions et les passions qui animent chacun des protagonistes. Sa mise en couleur, explorant différentes teintes et ambiances, est en tout point remarquable, renforçant l’impact de ses planches dont chacune est découpée avec soin méticuleux, sans esbrouffe ou effet de manche, mais avec le souci de servir au mieux la narration…
Mais un scénario ciselé et un dessin de haute tenue ne suffit pas à faire un polar mémorable. Encore faut-il que les auteurs parviennent à faire entendre leur petite musique… Et, dès les premières pages, Hasteda et Ludovic Chesnot impriment leur marque et posent avec art une atmosphère unique de film noir qui rend la lecture de
Frank Lee, l’après Alcatraz particulièrement immersive et entraînante… Un récit fictif, certes, mais un récit crédible et cohérent auquel on a la furieuse envie de croire…
Hasteda et Ludovic Chesnot donnent suite à la retentissante évasion de Frank Lee Morris et des Frères Anglin de la prison d’Alcatraz le 11 juin 1962.
Si le FBI a rapidement conclu à une mort par noyade de trois évadés, sans toutefois refermer le dossier, les deux auteurs, connus pour avoir contribué à différents numéros des jubilatoires Doggybags, font une fois encore montre de leurs saisissant talents de conteur et de metteur en scène en imaginant ce qu’aurait pu être la vie de Frank Lee, le cerveau de l’évasion dans les années qui ont suivit sa fuite.
L’impeccable écriture des personnages, les dialogues ciselés et un dessin somptueux rehaussé par un encrage souple et dynamique et une mise en couleur en tous points remarquable confèrent à l’album une dimension de roman noir particulièrement prégnante, en faisant un petit bijou qui ravira les amateurs de polars finement ciselés et solidement charpentés et marquera durablement les lecteurs.
- ces mecs sont de vrais artistes… Et ça m’étonnerait qu’on les retrouve un jour.
- Mais s’ils sont morts, officiellement, ce ne sont pas des évadés…
- S‘ils sont morts… Rendez-vous à l’évidence, Blackwell… Des prisonniers se sont évadés de la prison dont on ne s’évade pas ! La réputation de votre taule vient de prendre l’eau et, vu le gouffre financier qu’elle représente, je ne donne pas cher de votre peau. En attendant, laissez le Fbi faire son travail et préparez donc cette fichue conférence de presse… ou reprenez des vacancesdialogue entre un agent du FBI et le directeur d’Alcatraz
(*) extrait de Chanson du Forçat de Serge Gainsbourg