Mister Mammoth est une légende urbaine : véritable colosse aux corps et au visage lacéré, il n’use jamais de violence, qui est pour lui une insulte faite à l’intelligence. Et il est considéré par tout un chacun comme le meilleur détective du monde, tant il parvient à élucider des affaires que beaucoup considèrent comme insolubles…

Un jour, un richissime client vient le trouver dans son bureau pour l’engager pour enquêter sur un maître chanteur dont il est victime et qui menace rendre public ses secrets les plus inavouables, bien qu’il n’ait rien à cacher… Mister Mammoth décide de relever le défi, tout en faisant comprendre à son client qu’il n’est pas dupe et qu’il sait que ce dernier lui cache quelque chose…

Son enquête va faire remonter certains douloureux souvenirs jusque-là bien enfouis, et tout semble basculer lorsqu’une amie voyante qu’il venait de consulter est retrouvée, assassinée… Se pourrait-il qu’on se soit joué de lui ?

Avant de lire le nom de Matt Kindt, bien connu des amateurs de comics et suffisant à lui seul qu’on se penche sur ce diptyque, c’est bien l’envoûtant dessin de Jean-Denis Pendanx qui accroche le regard et ce dès la couverture, aussi intrigante que celle du premier tome, avec ce lettrage délicieusement seventies…

Révélé par son Labyrinthes (sur un scénario de Serge Le Tendre et Dieter excusez du peu), l’artiste n’a cessé de nous envoûter, de son Jéronimus (avec Christophe Dabitch), Svoboda! (avec Kris), son Tsunami (avec Stéphane Piatzszek) jusqu’à son édifiant True Story (de Laurent Galendon)… Son travail sur ce polar est aussi fascinant que somptueux et pose avec maestria cette ambiance fascinante et étrange qui baigne ce récit de la première à la dernière page… Si, baigné d’une lumière presque irréelle, ses décors s’avèrent somptueux, chacun de ses personnages a fait l’objet d’un soin tout particulier, à commencer par Mister Mammoth, véritable ogre urbain au regard froid dont l’intelligence hors norme et le rejet de toute forme de violence contrastent avec son imposante et inquiétante apparence… Et que dire de son saisissant sens du cadrage qui distille une sombre et étrange poésie mêlée à une angoisse sourde qui se précise au fil des pages, incidemment, jusqu’à un twist vertigineux qui place chacun des évènements qui nous ont été contés dans une toute autre perspective…

Car, à la lisère du récit d’anticipation rétro-futuriste, l’histoire concoctée par Matt Kindt s’avère en tout point captivante… L’auteur fait montre d’un talent de conteur indéniable, de sa façon de poser chacun des personnages et d’esquisser de lui un portrait en clair-obscur à sa capacité à perdre le lecteur et de l’entraîner là où il ne l’attend pas avec une désarmante facilité … La superposition de différents récits s’avère tout juste fascinante, flashbacks déroutant, série TV, visions hallucinées, personnages semblant tomber de nulle part qu’on entraperçoit avant de les délaisser… Et, soudainement, toutes les pièces éparses de ce puzzle s’assemblent de façon vertigineusement cohérente… Du grand art ! Tant et si bien qu’une fois l’album refermé, on n’a qu’une envie : reprendre la lecture des deux tomes à l’aune de ces révélations… Commence alors un second récit, tout aussi passionnant que le premier…

Polar atypique, iconoclaste et contemplatif, Mister Mammoth s’inscrit dans la veine du roman noir…

Construit autour d’un personnage tout en contraste, véritable colosse doté d’une intelligence dépassant l’entendement et d’une surprenante sensibilité, l’histoire ciselée signée par le prolifique Matt Kindt, bien connu des amateurs de comics, est une petite merveille de finesse et de subtilité. L’auteur tisse avec malice plusieurs fils narratifs en apparence disparates, semblant mettre le focus sur un personnage pour l’oublier après quelques cases, entraînant le lecteur dans les souvenirs diffus du détective pour revenir à la réalité après une séquence tout à la fois délicieusement angoissante et terriblement poétique. Et, d’un coup, sans crier gare, le scénariste assemblent ces différentes trames pour former un tout délicieusement cohérent…

L’efficacité de son récit est assurée par le fascinant talent de Jean-Denis Pendanx. Mettant en scène un personnage atypique évoluant dans des décors superbes, son dessin envoûtant aux accents poétique, par ailleurs sublimé par une mise en couleur lumineuse et délicate, entre en résonnance avec l’histoire et distille une ambiance aussi inquiétante qu’irréelle…

Ce second tome apporte une conclusion à un polar aussi déroutant que fascinant dans lequel les auteurs s’amusent à perdre le lecteur, pour mieux l’entraîner dans leur univers et le surprendre, lorsqu’il s’y attendait le moins…

La peur de la vérité conduit à la dissimulation. Le mensonge est un indice en soi. D’est l’espace en creux qui dessine les contours de la vérité. Pourvu que l’on sache la voir.Mister Mammoth