Paris, 2013, place de Vintimille. Assis à son bureau et fumant l’un de ces cigares cubains qu’il affectionnait, Jacques Vergès surprend un cambrioleur pénétrer chez lui par effraction… Son comportement ne trahit aucune peur, ni même la moindre trace d’inquiétude.

Considérant qu’il a un peu de temps devant lui, le sulfureux avocat entreprend de lui raconter sa vie, de sa naissance en Thaïlande jusqu’à la mort précoce de sa mère… de son enfance à la réunion où s’éveillera sa conscience politique… de son admiration pour De Gaulle en passant par son engagement dans la résistance… De son militantisme dans le Parti Communiste à son engagement anticolonialisme… de sa carrière d’avocat, qu’il embrasse presque malgré lui, enchaînant les procès médiatiques et s’illustrant en défendant de grands criminels, se taillant la réputation d’homme cynique et provocateur que l’on surnomma « l’avocat du Diable »… Il côtoya les hautes sphères du pouvoir, tissant de solides amitiés avec Pol Pot, Mao, Carlos ou Saddam Hussein… Sans oublier cette parenthèse qui dura huit année qui restent encore un mystère et qui firent couler beaucoup d’encre…

Jacques Vergès apparaît comme l’un des avocats les plus controversés de ces soixante dernières années, associant son nom à bien des procès retentissants, tel celui de Klaus Barbie, Paul Baril ou le terroriste vénézuélien Carlos qui se servait du tribunal comme d’une tribune pour pointer les fautes de la France et les zones d’ombres de son passé colonialiste. Aussi intelligent que cultivé, Vergès semblait être un redoutable interlocuteur, manipulant sans vergogne les journalistes venus l’interviewer, mêlant réalité et fiction avec art pour s’entourer de mystère et tisser sa propre légende.

L’homme est indéniablement un personnage de roman et sa vie et son parcours s’avère particulièrement fascinant, malgré (ou à cause !) l’aspect sulfureux de l’homme, sans oublier ce grand hiatus qui pose encore et toujours question… Mais le journaliste et scénariste Jean-Charles Chapuzet, à qui Vergès accorda un long entretien, ne s’est pas contenté de signer une biographie documentée de Vergès. Il en esquisse un portrait en clair-obscur par le truchement d’un artifice narratif aussi subtil que brillant : l’histoire que nous allons lire est racontée par l’avocat lui-même à un mystérieux visiteur du soir dont l’identité, pourtant éclairée par le titre secondaire du livre, une nuit avec le diable reste sibyllin jusqu’à la fin du livre ; fin qui s’avère délicieusement inattendue, entraîné que nous sommes par nos certitudes et les confidences en demi-teintes de Maître Vergès qui, en plus d’être un avocat talentueux s’avère être ici un remarquable conteur

Le travail de Guillaume Martinez dont on avait pu apprécier les talents de dessinateur dans l’entraînant Une vie - Winston Smith (1903-1984) - La biographie retrouvée de Christian Perrissin, fait une fois encore merveille, contribuant à composer le portrait fascinant d’un homme éminemment insaisissable et complexe. Son trait réaliste et le choix de couleurs sépias qui ancrent l’album dans l’histoire, sont au diapason du scénario alambiqué qui nous donne à comprendre le cheminement politique en apparence chaotique de ce personnage sulfureux et fascinant qui su si bien marquer les esprits par ses engagements tant que par ses mots…

Jean-Charles Chapuzet a puisé dans le long entretien que lui accorda Jacques Vergès pour écrire le scénario de cet album et composer le portrait saisissant de cet avocat sulfureux et médiatique …

Celui qui aimait à dire qu’il aurait aimé être l’avocat d’Hitler marqua les esprits par des procès retentissants, tels celui de Klaus Barbie ou de Carlos, ses sorties tonitruantes, son cynisme calculé et une culture édifiante. Aimant s’entourer de mystères pour nourrir sa propre légende, l’homme se forgea très tôt une conscience politique pour devenir un fervent activiste anticolonialiste qui se servit des procès comme d’une tribune pour mettre la France face aux zones d’ombres de son histoire.

Mis en image par le trait sombrement réaliste de Guillaume Martinez, Vergès - Une nuit avec le diable est d’autant plus envoûtant et captivant que le scénario s’avère joliment charpenté, avec un artifice narratif aussi brillant qu’efficace qui met en lumière la fascinante complexité d’un homme ambivalent…

Peur ? J’aurais dû crever 100 fois, mais on m’a raté : un poursuivant qui tombe en panne de voiture, une bombe dans mon appartement alors que je n’y étais pas… Vous cherchez un avocat peut-être ? Ou chercheriez-vous à savoir si je suis davantage Zola, le Che ou d’ Annunzio ?Jacques Vergès