Lorsqu’il se réveille au petit matin dans le port de San Francisco avec une vilaine blessure au crâne, il ne se souvient de rien, pas même de son nom… A ses côtés traîne un 38 spécial et l’encombrant cadavre d’une jeune femme plutôt élégante… S’il ne sait pas s’il la tué, il se rend bien compte que sa présence sur les lieux le désigne comme le coupable idéal… Sans l’ombre d ‘une hésitation, il décide de ne pas attendre les flics…
S’appuyant sur les maigres indices qui traînent dans ses poches, il va tenter de retrouver son identité et comprendre comment il a pu échouer sur ce port auprès de ce cadavre… Ce faisant, il va aller de mauvaises surprises en mauvaises surprises… D’autant que les flics ne semblent pas être les seuls à s’être lancés sur sa trace…
Difficile de ne pas se laisser entraîner à la suite de cet homme en quête de son identité… Le récit de Roger Seiter s’avère être solidement charpenté et parfaitement maîtrisé. Dès les premières pages, il nous immerge dans un polar sombre qui respecte les poncifs du genre, à commencer par ces longs récitatifs qui permettent de préciser les pensées et de poser le personnage principal… Par petite touche, son portrait se complète et son histoire se complexifie au fil des pages…
Si le lecteur perçoit rapidement qu’il est de ces hommes à sang froid connaissant parfaitement les armes à feu et ne s’émouvant pas à la vue d’un cadavre, il n’en est pas pour autant au bout de ses surprises… Si les prémices du récit évoquent le
XIII de Jean Van Hamme et William Vance ou à
la Mémoire dans la peau de Robert Ludlum dont le personnage principal a par ailleurs inspiré Van Hamme, son développement est suffisamment original et inventif pour être radicalement différent…
Roger Seiter signe une histoire chorale parfaitement maîtrisée, installant avec maestria une ambiance sombre et pesante digne des meilleurs polars. Le lecteur y suit l’itinéraire parsemé d’embûches et de surprises de cet amnésique en quête d’un passé… Tueur légendaire surnommé Suspectum se faisant payer un demi-million de dollar par contrat, la mafia semble bien décidé à lui régler son compte de peur qu’il tombe entre les mains des flics et qu’il passe à table… Quant à la police, elle continue de traquer le meurtrier de Phoebe Draper, assassiné sur les pontons de Fischerman Wharf à San Fransisco… La tension va crescendo alors que l’étau se resserre autour du héros et que les destins entrecroisés se télescopent pour abouti à un final des plus percutant… Les circonstances exactes de la blessure du tueur lors du meurtre de Phoebe sont aussi inattendue que savoureuse alors que la dernière case de l’album en dit long sur la pugnacité du héros de ce polar harboiled…
Le travail de Pascal Regnauld ne laissera pas insensible. Ses partis pris graphiques audacieux confèrent à ce diptyque une intensité et une densité graphique saisissante, retranscrivant parfaitement l’atmosphère de roman noir savamment distillé par le scénario. Ayant fait ses armes en compagnie de Benoît Sokal sur l’excellente série
Canardo dont il a signé plus de la moitié des albums, force est de reconnaître que le polar est un genre dont il maîtrise parfaitement les codes graphiques. Son sens de l’ellipse et ses cadrages résolument cinématographiques s’avèrent être d’une redoutable efficacité alors que sa colorisation s’avère tout juste fascinante.
Publié originellement chez les défuntes Editions du Long Bec, cette intégrale ne se contente pas de proposer l’histoire telle qu’elle fut publiée il y a quelques années. Le lettrage a été repris de fond en comble pour le rendre plus percutant alors que l’album est complété par le séquencier de 50 pages, joliment illustré par les crayonnés, jusque-là inédits, de Pascal Regnauld. Se lisant comme une nouvelle policière, il permet au lecteur d’avoir accès à ce document rare et captivant qui permet de mieux comprendre la façon de travailler de Roger Seiter…
Publié il y a plusieurs années par les défuntes éditions du Long Bec depuis longtemps introuvable, Trou de mémoire réunit deux auteurs rompus aux codes du polar : Roger Seiter et Pascal Regnauld… Cette nouvelle édition en un seul volume a fait l’objet d’une refonte complète du lettrage et se voit enrichie du séquencier complet de l’album, document rare qui se lit comme une nouvelle policière et nous permet de mieux comprendre la façon de travailler du scénariste…
Solidement charpenté et doté d’une mécanique parfaitement huilée, ce polar est doté d’un rythme soutenu grâce à un double récit alterné somptueusement mis en image par le trait fascinant et stylisé de Pasal Regnauld qui pose avec maestria cette ambiance propre aux polars des années 60. Difficile de ne pas être happé par ce récit choral qui s’achève de façon pour le moins percutante…
Si vous êtes amateurs de polars ciselés et stylisés et que vous étiez passé à côté de ce bijou, cette nouvelle édition sera pour vous l’occasion de le découvrir, en attendant le prochain album de ce tandem qui devrait nous entraîner du côté d’Anchorage, dans le monde sombre et violent des bikers…
« - Qu'est-ce que... Du sang ?! Qu'est-ce que je fous là ? Merde ! Un putain de flingue à canon court... ».
Probablement un 38 spécial... Il ne se souvient pas d'un révolver... D'avoir un jour possédé une arme...l’amnésique