Alors que Hyacinthe projette de reconquérir son donjon avec une poignée de monstres, Herbert ne peut l’accompagner car Isis doit accoucher, comme le veut la tradition, durant un trek en yack en destination du pays kochaque… Et le bébé tant attendu de l’héritier du puissant Duché de Vaucanson, et d’Isis, Princesse kochaque, fini par venir au monde dans les plaines enneigées battues par un vent glacial. Herbert pouvait légitimement se réjouir d’être devenu papa d’un adorable nourrisson… Mais voilà qu’Isis lui apprend que son nouveau-né devra se soumettre au rite de passage traditionnel kochaque : être jeté dans une fosse emplie d’une meute de loups féroces et affamés et faire preuve de vaillance pour s’en sortir vivant et défaire ses adversaires…
Jugeant, sans doute à raison, que cette tradition barbare pourrait hypothéquer gravement l’avenir de son fils, Herbert, après s’être essayé à raisonner sa compagne, décide de kidnapper le nourrisson… Après avoir tenté de trouver refuge chez ses proches, il décide finalement d’accompagner Hyacinthe de Cavallère, ex-gardien du Donjon, dans son projet de reconquête… emmenant son bébé dans sa besace…
Mais Isis et ses cavaliers Kochaques se sont lancés sur sa trace, bien décidée à soumettre son fils au rituel traditionnel de son peuple guerrier…
Malgré le rythme effréné de leur parution, un nouvel album de Donjon est toujours un petit évènement en soi, surtout pour les lecteurs ayant arpenté les couloirs ténébreux des donjons, peuplés de monstres et de dragons assis sur un énorme tas d’or pour qui ces récits concoctés avec humour par Lewis Trondheim et Joann Sfar agissent comme un cube gélatineux de Proust…
Ce nouveau récit de
Donjon Zenith se situe en l’an IX et la frise temporelle figurant à l’avant de l’album n’est pas de trop pour s’y retrouver dans cette œuvre tentaculaire et jubilatoire comportant de très nombreux spin-off… L’histoire va confronter Herbert, sans doute le plus censé et le plus humain des monstres du donjon, aux cruelles traditions kolchaque, finalement très nietzschéenne : « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ».
Après avoir cru à une bonne blague d’Isis puis avoir tenté de la raisonner, il n'eut d’autre choix que de la trahir et aller contre les traditions de son peuple en enlevant le nourrisson pour le soustraire à une mort quasi certaine… Bien évidemment, cela ne se fera pas sans heurts d’autant que l’Ataman kochaque se doit d’avoir un héritier fort et puissant pour régner sur son vaste royaume… Comme il se doit truffé d’humour, de savoureuses répliques et de scènes mémorables, rien ne se déroulera vraiment comme prévu, tant du côté de la reprise ne main du donjon par Hyacinthe et ses monstres que du côté d’Herbert désireux de protéger son bébé de traditions stupides et un brin dangereuses… Les auteurs se sont amusés à mettre en scène d’autres traditions totalement barrées, telle celle qui oblige un dragon de notre connaissance à ne pas poser les yeux sur sa progéniture, ce qui complique quelque peu son quotidien…
Mais l’humour se teinte de drames annonciateurs de
Donjon Crépuscule et les auteurs sont parvenus à maintenir un subtil équilibre entre les deux, faisant de ce
Larmes et Brouillard le chaînon manquant entre époques et faisant passer leurs fidèles lecteurs du rire aux larmes…
Comme de coutume, Boulet semble s’être éclaté à mettre en scène ce récit drôles et tragique. Son dessin énergique et généreux met en scène avec une redoutable efficacité ces monstres attachants, à commencer par Herbert et Isis qui traversent une réelle crise de couple. Ses cadrages servent au mieux la dramaturgie drolatique du récit alors que son découpage s’avère être d’une finesse exquise : selon les lieux, plaines enneigés battues par le vent ou donjon aux couloirs étriqué, il adopte un découpage différent, donnant tantôt de l’ampleur aux paysages, tantôt esquissant des décors un brin oppressants… La double page présentant le fameux rituel kolchaque est une petite merveille d’efficacité, condensé du talent du dessinateur, de même que l’attaque du donjon par Hyacinthe et sa monstrueuse petite troupe.
Le bien nommé Larmes et Brouillard poursuit Donjon Zenith, relancé avec le bouillonnant En sa mémoire…
Joann Sfar et Lewis Trondheim annoncent en filigrane leur Donjon Crépuscule avec cette histoire de traditions séculaires et de choc des cultures tout à la fois irrésistiblement drôle et tragiquement dramatique. Porté par le dessin énergique et généreux d’un Boulet, dont les compositions subtiles et le sens de la narration impressionnent, ce neuvième tome de Donjon Zenith ravira les aficionados de cette série tentaculaire et jubilatoire qui nous entraîne dans un univers foutraque et déjanté mais néanmoins parfaitement maîtrisé…
Larmes et Brouillard est sans nul doute un des albums les plus poignant de la série… (Non, je ne pleure pas, c’est un grêlon qui m’a abîmé la sclérotique)
- Alors, qu’est-ce qu’on dit pour le prénom ? Tu décides ou je décide ?
- Tu es vraiment contre ceux que mes parents ont proposés.
- C’était… heu… Charmant. Mais les prénoms ne doivent pas être dits à voix haute avant la fin de l’opasnyye.
- Ah… Le Baptême kochaque ?
- Ah oui ? Tu connais ??
- Bah… oui… Et si ça fait plaisir à tes parents…
- A moi aussi ! J’ai trop hâte de contempler notre bébé seul dans la fosse aux loups ! Quelle fierté de voir son enfant lutter contre els éléments ! Résister aux crocs acérés de la meute des loups ! Faire fi de leurs coups de griffe…
- Ah ha ha ! J’ai compris ! Tu déconnes ! Ah ah ah !... Tu ne déconnes pas…dialogue entre Isis et Herbert