Greenway, village côtier pauvre et isolé d’Angleterre, 14 octobre 1704. Alors qu’il fait nuit et que la tempête fait rage, des villageois sont sur la plage. Ils scrutent la mer, allument de grands feux et attendent qu’un navire vienne se fracasser sur les rochers…

Pensant se diriger vers le port de Weymouth dont il croyait reconnaître la disposition des lanternes, le Meredith s’échoue… Les villageois se précipitent pour récupérer la cargaison, arguant du « droit de bris » et n’hésitent pas à achever les rescapés… Âgé de quatorze années, le jeune Jim assiste pour la première fois à l’un de ces naufrages, découvrant, horrifié, l’activité que pratiquent les villageois les jours de tempête…

Mais tous ignoraient alors qu’un mystérieux passager, le Chevalier de Saint-Martin, se trouvait à bord et que sa cargaison, attendue par un Lord, allait attiser bien des convoitises… Tandis que des soldats partent à la recherche de l’épave, coulée par les villageois, ces derniers mettent à l’abris leur butin dans une grotte qu’ils recouvrent de rochers et de mousses… Mais l’un d’entre eux a conservé une relique d’un pillage passé et va être mis aux fers… Craignant qu’il ne les dénonce, les villageois vont s’arranger pour que sa bouche reste close… à jamais.

Mais les soldats ne sont pas les seuls à s’intéresser à Saint-Martin et son précieux butin…

Pour signer ces Naufrageurs, le talentueux Rodolphe retrouve Laurent Gnoni avec qui il avait déjà signé l’envoûtant et dérangeant Je suis un autre et le fascinant Radcliff dont on attends la suite sans trop y croire et dont on retrouve l’atmosphère maritime dans ce présent album.

Le récit est remarquablement bien construit et particulièrement immersif… A la suite de Jim, le lecteur découvre les activités nocturnes et moralement condamnables auxquelles se livrent les habitants de Greenway les jours de tempête pour pouvoir se nourrir… A travers ses yeux, on découvre l’horreur de la situation, des marins qui se savent condamnés à l’exécution à coup de pelle des rares survivants rejetés par la mer sur les côtes acérées. On comprend qu’un tel spectacle puisse traumatiser un jeune garçon sensible et le cauchemar qui suit cette nuit tragique s’avère terrifiant à souhait… Avec délicatesse, le scénariste esquisse le lien qui unit Jim à Jenny, une jeune fille aveugle avec qui il n’ose pas partager son lourd secret qui le ronge.

L’histoire concoctée par Rodolphe s’appuie sur l’imaginaire collectif et le mythe romantique des naufrageurs popularisé en France par Jules Michelet ou Guy de Maupassant alors qu’aucun témoignage ou document historique ne vient étayer le massacre d’équipages de navires échoués par des bandes de naufrageurs organisées… Bien que personnage central de l’album, le jeune Jim, n’en n’est pas le héros à proprement parler. Il sera le spectateur de ces tragiques événements qui allaient à jamais infléchir le cours de sa vie… Le récit va prendre un tournant plus tragique encore lorsque, d’un commun accord, les villageois décident d’assassiner l’un des leurs qui, par négligence, s’est fait prendre par les soldats… Et, alors qu’ils pouvaient se croire tirés d’affaire, voilà que leur acte ignoble allait les précipiter dans une situation plus funeste encore lorsqu’une bande de sinistres pirates débarque au village avec la ferme intention de mettre la main sur le magot du Chevalier de Saint-Martin, bien moins noble que son nom et son titre pouvait le laisser augurer…

Si le récit s’avère aussi captivant, c’est qu’il est mis en image par un Laurent Gnoni particulièrement inspiré. Montrant des villageois attendant que s’échoue le navire par une nuit de tempête, la couverture de l’album s’avère particulièrement somptueuse et donne d’emblée furieusement envie de se plonger dans l’album. Composé avec soin, ses planches sont d’une rare efficacité, les audacieux cadrages renforçant avec art la dramaturgie de l’histoire. Si son encrage s’avère on ne peut plus élégant, ce sont ses couleurs, et plus particulièrement sa façon de jouer avec les ombres et les lumières, qui contribuent à poser cette atmosphère oppressante qui sied à ce formidable récit d’aventure… On appréciera tout particulièrement les scènes se déroulant en mer, tant l’abordage joliment chorégraphié que les scènes de plongée en apnée qui sont absolument fascinantes…

Pour Naufrageurs, Rodolphe retrouve le talentueux Laurent Gnoni qui signe là son plus bel album…

Ce récit d’aventure nous entraîne dans l’Angleterre, à l’aube du XVIIIe siècle, aux abords de Greenway, un village côtier pauvre et isolé. Les nuits de tempêtes, les villageois allument de grands feux sur la grève, espérant faire échouer un navire pour le piller… Lorsque le Meredith se fracasse sur les rochers acérés, ils étaient loin de se douter que c’était le naufrage de trop, celui qui allait faire basculer le destin de leur village…

Puisant dans l’imaginaire collectif, Rodolphe tisse un récit aventureux tragique et captivant mettant en scène un jeune garçon touchant et sensible qui allait être confronté aux exactions de ses pairs… Plus spectateur que héros, il n’en reste pas moins le personnage central de l’album, conférant à l’ensemble une touche d’humanité, fragile lueur au cœur des ténèbres de la tempête qui allait s’abattre sur le village…

Tu vois, garçon, nos feus sont placés de façon à représenter le même écart entre eux que les lanternes du port de Weymouth. De nuit, à une certaine distance, tous s’y laissent prendre.Le Squire