Entre 1872 et 1877, trois poètes vont se croiser, se chercher, se fuir et s’enivrer, s’appliquer à être libre et s’acharnant à ne pas l’être… Leurs noms ? Arthur Rimbaud, Paul Verlaine et Germain Nouveau…

Après le « drame de Bruxelles » où Paul Verlaine, ivre, tire sur son amant, Arthur Rimbaud rentre à Paris tandis que Verlaine est incarcéré à la Prison de Monce. Dans la ville lumière, Rimbaud rencontre Germain Nouveau au café Tabourey. Ensemble, ils vont retourner à Londres, où avait vécu un temps Rimbaud et Verlaine, pour y vivre une vie de bohème, visitant les musées et donnant des cours de français… Durant ces années, le poète écrira ses Illuminations, recueil de poèmes en prose qui furent retravaillées avec Germain Nouveau, avant de tourner, définitivement, le dos à l’écriture et de partir pour l’Afrique.

L’ultime manuscrit d’Arthur Rimbaud allait circuler de mains en mains, brûlant les doigts et consumant l’âme de ses possesseurs, jusqu’à ce qu’il soit finalement édité à titre posthume après avoir été transmis par Rimbaud à Verlaine qui se déchargea du fardeau sur Nouveau avant que ce dernier ne le redonne à Verlaine après la mort de Rimbaud…

Si le titre de cet envoûtant roman graphique évoque celui du recueil en prose d’Arthur Rimbaud, il reprend celui d’un recueil paru en 1852 et où Gérard de Nerval décrivait le portrait de figures iconoclastes et excentriques… Iconoclastes et excentriques, Rimbaud, Verlaine et Nouveau le sont assurément…

Avec ce roman graphique solidement documenté, Laurent-Frédéric Bollée nous entraîne de la Londres victorienne au Paris de la Belle époque dans le sillage d’un trio de poètes qui se croisèrent et se cherchèrent durant plusieurs années tandis que Rimbaud écrivait les poèmes qui allaient être publiés après sa mort sous le nom d’Illuminations… Illuminés nous entraîne ainsi dans les coulisses de leur écriture jusqu’à leur publication tardive, retraçant l’histoire des ultimes écrits de Rimbaud qui tourmentèrent l’âme de leurs propriétaires successifs, porteurs du lourd héritage d’un jeune homme qu’ils aimèrent tour à tour et détestèrent parfois… S’appuyant sur des faits avérés, le co-scénariste de la Bombe comble les lacunes en recourant à la fiction, composant une fresque cohérente et délicieusement impressionniste.

Porté par des dialogues fort bien écrits, le surprenant découpage de l’album nous donne à suivre plusieurs récits parallèles, offrant au lecteur une délicieuse expérience et lui conférant, l’espace d’une lecture, le don d’ubiquité, lui permettant de suivre en simultané le récit des vies de trois personnages qui vont se croiser, s’éloigner, se déchirer et se retrouver au fil des pages et du temps autour des poèmes de Rimbaud dont l’auteur parvient à saisir l’âme, les tourments qui sont siens et les liens complexes qui l’unissaient à Verlaine et Nouveau… En mettant en lumière ce trio d’auteurs, ce Verlaine aigri qui déteste Rimbaud autant qu’il aime et jalouse Nouveau, ce Nouveau qui a presque disparu de nos mémoires aujourd’hui et un Rimbaud qui s’apprête à abandonner la plume pour une vie d’aventurier en Afrique, permettant mieux comprendre ce qui a pu pousser ce jeune poète à faire ce choix si radical…

Artiste protéiforme, Jean Dytar, auteur de Florida, de #J'accuse ou des Tableaux de l'ombre, explore un nouveau style graphique pour servir au mieux le fascinant récit de Laurent-Frédéric Bollée. Comment ne pas succomber aux charmes de la couverture où, dans une brume aux reflets évoquant la couleur de la fée verte, on voit Rimbaud, Verlaine et Nouveau, ivres sur un pont de Paris ? Ses planches s’avèrent tout aussi somptueuses avec ces lavis dont les teintes varient en fonction des récits que le dessinateur met en scène, posant avec art cette ambiance envoûtante et singulière qui baignent ces destins croisés. Ses saisissants jeux de lumières entrouvrent une fenêtre sur l’intimité de ces poètes, permettant aux lecteurs de les côtoyer et de partager leur quotidien, l’espace d’un album.. Sa reconstitution du XIXe siècle s’avère fascinante et les scènes d’intérieures comme d’extérieures sont de toute beauté… Rythmant et structurant le récit en le découpant en chapitres, on voit un vieux mendiant installé près du porche d’une église d’Aix en Provence sans que l’on connaisse au départ son identité… Mais celle-ci se révèle peu à peu jusqu’à ce qu’une scène finale particulièrement touchante viennent apporter refermer cet édifiant et passionnant récit…

Laurent-Frédéric Bollée associe sa plume alerte aux pinceaux sensibles et délicats de Jean Dytar pour redonner vie à Paul Verlaine, Arthur Rimbaud et Germain Nouveau au seuil des années 1870…

Alors qu’il vient de rompre d’avec Verlaine après le retentissant épisode du « drame de Bruxelles » Rimbaud rencontre Nouveau qui va un temps partager sa vie alors qu’il s’attache à écrire de nouveaux poèmes, toujours à la recherche d’une liberté qui lui échappe sans cesse… Passant de Rimbaud à Verlaine et de Verlaine à Nouveau, ce manuscrit ne sera édité qu’après la mort de l’homme aux semelles de vent qui ne connut pas, de son vivant, la reconnaissance escomptée…

Les fascinants lavis de Jean Dytar portent avec une rare acuité le scénario envoûtant de Laurent-Frédéric Bollée dont le découpage audacieux et inventif offre au lecteur une expérience de lecture singulière qui lui permet de suivre simultanément la vie tumultueuse de ces trois poètes tandis que ses dialogues retranscrivent avec justesse leurs liens complexes et tourmentés, mélange d’admiration, de jalousie, d’amour et de haine qui unissent les trois poètes.

Les Illuminés est un album édifiant et poétique dont nous ne pouvons que recommander chaudement la lecture…

- Je vais vous faire une confidence. J’envie votre liberté Rimbaud.
- Vous me trouvez libre ? Quelle blague ! Quoi que je fasse, partout où je passe, je finis par em sentir à l’étroit, par suffoquer… Parfois, même, par être pris de dégoût. Etranger partout. Personne pour me comprendre… J’aimerai être libre monsieur le consul. Mais je crains de n’être que seul.dialogue entre le Consul et Arthur Rimbaud