Au seuil de la mort, François Engel confie à Jeff l’histoire de sa famille qui a traversé la période sombre de l’occupation et s’est déchirée… Pourquoi confie-t-il ainsi à un inconnu ces instants de vie familiaux et intimes, ne s’épargnant pas et se décrivant tel qu’il fut : un collaborateur zélé empli de haine et de rancœur…

Antoine parviendra-t-il à guérir son âme meurtrie en vendangeant le vin qu’il rêve de faire et à qui il se consacre corps et âme ? Joséphine poursuivra-t-elle son engagement dans la résistance au péril de sa vie et de celle de ses proches ? François continuera-t-il de se compromettre jusqu’au bout avec le régime nazi ? Alors que la guerre déchire l’Europe et le monde, la famille Engel est-elle condamnée à une lutte fratricide au cœur d’une Alsace qui a connu tant de vicissitudes depuis la défaite de 1870 ?

Avec Mauvaise Graine, Stéphane Piatzszek referme son envoûtante saga familiale qui prend racine dans les années noires de l’occupation et étend les ramifications de ses sarments jusqu’à notre époque…

A travers une histoire mêlant l’intime et l’universel, le scénariste de Kilomètre zéro (série somptueusement dessinée par Florent Bossard) revient en Alsace dont l’histoire mouvementé amorcée avec la défaite de 1870 et l’annexion à l’Allemagne se poursuit avec le retour dans le giron de la France après la première guerre mondiale et l’annexion au IIIe Reich en octobre 1940, en violation avec l’armistice signée en juin le rattachement à la France… Et c’est ainsi que des individus ont dû choisir entre rester français ou allemand et quitter leur terre natale, un choix oh combien douloureux, mais plus encore quand des familles furent déchirées entre les deux allégeances… ce qui fut le cas de la famille Engel qui, si elle est fictive, incarne parfaitement ces tiraillements. Pour l’anecdote qui permet d’illustrer la complexité de l’histoire de ces terres qui ont oscillé entre France et Allemagne : en Alsace comme en Moselle, les monuments aux morts portent la mention « à nos morts » ou « aux victimes de la guerre » en lieu et place du « Mort pour la France » figurant sur ceux de la France de l’Intérieur… Les noms mentionnés (et parfois francisés !) ayant versé leur sang pour défendre l’un ou l’autre pays…

Cette tragédie régionale s’incarne ainsi pleinement dans la famille Engel, Joséphine embrassant la cause de la France résistante, François, plus influençable, celle de la collaboration alors qu’Antoine, animé par l’amour de sa terre, se consacre entièrement à ses vignes. Trois attitudes différentes, cause des bien des tensions, de haines et des passions que l’on retrouve à une toute autre échelle au cœur d’un village, d’une ville, d’un canton ou d’une région entière. Mais c’est bien la structure narrative du récit, avec le récit de François, le canard boiteux de la famille, qui lui donne toute sa force, le lecteur ne cessant de s’interroger qui ce qui motive ces confidences en forme de confessions… Parle-t-il pour soulager sa conscience ? Est-il en quête de rédemption ? Ou poursuit-il un but plus tortueux ? Car, bien que diminué par la maladie, François sait parfaitement ce qu’il fait…

Pour cette série historique, Espé retrouve donc Stéphane Piatzszek avec qui il avait signé l’édifiante Île des Justes. Son dessin réaliste et généreux met en scène avec justesse et acuité des personnages complexes et plein d’humanité. Pour ceux qui les connaissent, ses paysages retranscrivent la beauté des paysages alsaciens et le soin apporté aux costumes, décors et accessoires nous immergent avec force dans cette époque troublée où la vie ne tenait qu’à un fil et où chaque choix conditionnait sa propre existence mais aussi celles de ses proches…

Porté par un scénario captivant qui se garde bien de juger mais se contente de relater des faits et de retranscrire avec justesse les émotions de chacun des protagonistes, une famille en guerre nous entraîne dans l’Alsace occupée pour suivre le tumultueux destin de la famille Engel…

Tandis que Joséphine a rejoint la résistance et que son jeune frère s’est engagé dans la jeunesse hitlérienne et cherche à être intégré dans la Waffen-SS, Antoine, pour soigner son âme meurtrie, se consacre exclusivement à sa vigne… Mais le débarquement et les premiers revers de la Wehrmacht allait redistribuer les cartes…

Porté par trois personnages complexes et tourmentés dont le dessin réaliste d’Espé retranscrit avec justesse les émotions et les états d’âme, le scénario de Stéphane Piatzszek s’avère d’autant plus passionnant que l’objectif de François, dont on ne comprend pas qu’il confie à un inconnu l’histoire de sa famille ou il tient un rôle peu reluisant, ne nous apparait clairement qu’en toute fin d’album.

- Clara !!! Je ne partirai pas tant que je ne t’aurais pas vue !!!
- Là, tu me vois… Va-t’en maintenant !
- Je reste !
- Mon père ne veut plus que tu viennes ici. Tu ne sais donc pas que la guerre est perdue ?!
- T’espères que je vais me sauver comme un lapin ?! Alors tu ferais bien de ‘accompagner parce qu’on est du même côté…
- Non, je ne crois pas !!
- Ton père cherche à te faire peur, mais al guerre n’est pas finie. La nouvelle arme secrète a bombardé Londres cette nuit. Des avions sans pilote !
- Leur arme secrète, c’est des gogos comme toi !dialogue entre François et Clara