Automne 2002. Alors que la seconde guerre d’Irak se prévise, les trafiquants en tous genres font la fête dans la Sérénissime… Corto accompagne Semira et sa clique de bosniaques pour jouer les pirates à bord du Boka Star, tant pour s’enrichir que pour semer une sacrée pagaille…
Le plan se déroule presque sans accroc mais les bosniaques sont dirigés par Celo, une brute qui ne porte pas Corto dans son cœur… Les choses s’enveniment, un coup de feu part… Semira ne sera jamais Reine de Babylone…
Pour retrouver Celo et venger la mort de son amour, Corto est prêt à aller à l’autre bout d’un monde gangréné par la guerre… De l’adriatique au Golfe Persique, de la poudrière des Balkans aux ruines de l’antique Babylone, le marin romantique n’est pas prêt de rentrer au port…
Pourquoi ? C’est la première question qui vient en se plongeant dans cette nouvelle série de Martin Quenehen et Bastien Vivès… Pourquoi avoir appelé cette série Corto Maltese, du nom de ce fascinant marin né sous les envoûtants pinceaux d’Hugo Pratt ? Pourquoi, après avoir poursuivi ses aventures dans le respect de l’œuvre originale, tant dans la forme que dans l’esprit, avoir voulu ressusciter le fils de la Niña de Gibraltar pour lui faire vivre de nouvelles aventures se déroulant près d’un siècle après
la Jeunesse de Corto Maltese ? N’était-il pas plus simple d’imaginer un pirate aventurier du XXI plutôt que de vouloir redonner vie à un personnage emblématique du neuvième art… Et pourquoi appeler la série « Corto Maltese » plutôt que « Corto Maltese vu par… » comme cela a pu être fait pour Spirou ? Le mystère reste entier et n’en finira pas de cliver les lecteurs…
Pourtant, une fois accepté cet étrange postulat de départ, j’avoue avoir été captivé par ce récit d’aventure romanesque tout à la fois moderne et respectueux du personnage… Car ce n’est pas un marin ressemblant à Corto que Martin Quenehen et Bastien Vivès mettent en scène, mais bien Corto lui-même transposé à notre époque… Il a la même filiation que lui et ce même romantisme désarmant qui le pousse à risquer sa vie par amour pour une femme, même défunte… Les dialogues de ce roman graphique font écho à ceux de Pratt, avec ce délicieux décalage qui renforce la singularité de Corto Maltese, sa façon de provoquer sans vergogne les pires crapules et de les pousser à bout.
Mais ce ne sont pas là les seules analogies… Comme bien des histoires d’Hugo Pratt, ce récit éminemment aventureux se déroule en marge des conflits qui ont émaillé son époque et le scénariste renoue avec la veine poétique et ésotérique des chefs d’œuvre d’Hugo Pratt avec cette intrusion du rêve ou fantastique à la fin de l’ouvrage pour permettre à Corto de se tirer d’un bien mauvais pas… Rêve ? Hallucination ? Véritable intervention divine ? Le mystère demeure et c’est là tout son charme…
Côté dessin, le style de Bastien Vivès s’avère radicalement différent de celui d’Hugo Pratt, même s’il s’en dégage aussi une formidable énergie et que les cases silencieuses participent au récit lui-même… J’ai toujours été positivement impressionné par la virtuosité et le trait fascinant de cet artiste, mais aussi par la fluidité de sa narration, du
Goût du Chlore à
Hollywood Jan en passant par
Dans mes yeux ou
Polina… Les planches de l’album sont élégantes et savamment composées pour laisser place à l’émotion… Son travail sur les clairs obscurs est comme de coutume fascinant, même si je comprends que son style si particulier ne puissent pas plaire à tout le monde et ne manquera pas de décevoir ceux qui espéraient retrouver dans cet album celui du créateur de Corto…
Si on abandonne l’idée de lire un Corto Maltese tel que les faisait Hugo Pratt mais un Corto Maltse revisité par Martin Quenehen et Bastien Vivès, le tandem de Quatorze juillet, cette Reine de Babylone s’avère être un excellent récit d’aventure romantique et romanesque…
On y retrouve une version résolument moderne de Corto pour une histoire se déroulant près d’un siècle après sa tumultueuse et aventureuse Jeunesse… Une résurrection en quelque sorte. Mais le personnage n’a rien perdu de son charme, de son romantisme ou de son sens de la répartie et de la provocation alors qu’il parcourt le monde à la recherche de la grande aventure, en marge des conflits qui ont marqué leur temps, de l’Adriatique au Golfe Persique, de la poudrière des Balkans aux ruines de l’antique Babylone…
Mis en image par le trait virtuose et singulier de Bastien Vivès, cette Cette Reine de Babylone de Martin Quenehen est un pur récit d’aventure, teinté de cette pointe d’ésotérisme que Pratt distillait volontiers dans ses chacun de récits mettant en scène ce Gentilhomme de bonne Fortune… Les puristes détesteront sans doute, mais les autres devraient apprécier ce lointain écho d’un personnage qui a marqué leur jeunesse avec ses balades envoûtantes, aventureuses, historiques, oniriques et poétiques…
- Freya…
- Mais d’où tu sors comme ça ?
- D’une autre histoire.
- Mmh, et tu comptes y retourner ?
- J’espère. Et toi, dans quelle aventure t’es-tu embarquée ?
- Je suis enceinte Corto.
- Eh, bah, Mazel Tov.
- Si seulement il y avait eu de la place pour moi dans ton histoire.dialogue entre Corto et Freya