Alors qu’il était au sommet de sa carrière et contre toute attente, le grand Jacques décide de raccrocher, sans vraiment savoir ce qu’il allait bien pouvoir faire après… Mais, lorsqu’il découvre l’Homme de la Mancha, il sait que ce rôle est taillé pour lui. Il s’envole pour les Etats-Unis et passe une audition comme s’il était un débutant…

Avec cette comédie musicale il connaîtra un succès phénoménal mais, lassé, abandonnera la tournée et se consacrera désormais au cinéma. D’abord acteur avant de devenir réalisateur et de raccrocher alors qu’il connaissait enfin le succès auprès du public et de la critique avec l’Emmerdeur…

Renouant avec ses rêves d’enfant, il passera son brevet de pilote avant d’apprendre à naviguer pour partir faire le tour du monde… Malade, on lui diagnostique un cancer contre lequel il va se battre… Mais, désormais traqué par les paparazzis, il part de plus en plus loin pour leur échapper et trouve son petit coin de paradis sur l’île d’Hiva Oa, aux Marquises où, inconnu de tous, il peut enfin revivre, achetant un avion et se faisant facteur et taxi pour les îliens… Mais le spectre de la maladie revient bientôt le hanter…

Après s’être intéressé aux premières années de galère où Jacques se contentait de rêver d’aventure et avoir esquissé sa fulgurante carrière, Salva Rubio se propose de nous raconter, dans ce dernier album de la trilogie qu’il lui consacre, les dernières nombreuses vies de cet homme écorché vif qui n’a cessé de chercher à gravir de nouvelles montagne, une fois atteinte l’inaccessible étoile…

Est-ce par peur de décevoir son public en faisant la tournée de trop qu’il a cessé sa carrière de chanteur ? Par fatigue ou par lassitude ? Par l’envie de défricher de nouveaux territoires, de découvrir des contrées inexplorées ou l’envie de renouer avec ses rêves d’enfant ? A moins qu’il n’ait senti que le temps lui était compté ? Il est fascinant de le voir passer d’une vie à une autre, de réussir tout ce qu’il entreprend, avant que de passer à autre chose… De nombreuses séquences sont chargés en émotions, de sa confrontation à la mort de son ami Jojo à celle d’avec sa maladie, de cette rencontre avec cette jeune aveugle qui allait lui donner envie de se remettre à la chanson en passant par ses succès parfois mitigés au cinéma ou l’enregistrement de son dernier disque… Le récit romanesque s’avère saisissant et, bien que faisant parti des chanteurs qui m’ont accompagné durant mon adolescence, bien qu’il fut parti vers d’autres cieux depuis longtemps, j’avoue que j’ignorais à quel point il fut harcelé par les paparazzis qui, tels des charognards, ne le laissèrent plus en paix dès l’annonce de sa maladie… Truffé d’anecdotes authentiques qui dans un film aurait paru peu crédible, tel la présence de la princesse Caroline de Monaco dans l’avion où il pensait passer incognito à ses relations houleuses avec ses filles à sa traversé de l’Atlantique en bateau… C’est peu dire que Brel a traversé la vie comme un aventurier rêvant toujours de nouveaux horizons.

J’avoue avoir été envoûté par le travail graphique de Fornies Sagar dont le travail nous avait fasciné tant dans son Syndrome de Stendhal (scénario d’ Aurélie Herrou) que dans son bouleversant Miles et Juliette (d’un certain Salva Rubio)… Son approche à la fois intimiste et très théâtrale esquisse avec force et finesse le portrait d’un artiste excessif et par là-même tout à la fois romantique et éminemment romanesque. D’une grande modernité et d’une indéniable inventivité, son découpage est une petite merveille d’efficacité et ses choix graphiques s’avèrent particulièrement pertinent… Les planches ouvrant le récit où l’on retrouve Jacques Brel en plein doute, la fascination qu’exerce sur lui l’Homme de la Mancha, son expérience avec le septième art, l’âpreté de sa traversé de l’Atlantique, son émerveillement en découvrant les Marquises, la perte de Jojo, les premières attaques de la maladie, les séquences d’enregistrement de son dernier disque, tout cela est retranscrit avec une grande sensibilité, nous prenant souvent aux tripes, comme savaient le faire les sublimes et inoubliables chansons de Brel… La symbiose entre scénario et le dessin rendent cette biographie dessinée plus captivante encore…

Signée par le talentueux Salva Rubio à qui l’on doit notamment l’aventureux Max - les années 20 ou le Premier Dumas, cette biographie dessinée de l’un des plus grands chanteurs francophones de la seconde moitié du XXe siècle s’avère aussi passionnante qu’édifiante…

Solidement documenté et truffés d’anecdotes, cette trilogie nous esquisse le portrait d’un écorché vif, éternel insatisfait toujours en quête de nouvelles aventures et de nouveaux sommets à gravir… Une fois rangé sa panoplie de chanteur à succès, il embrasse tour à tour la comédie musicale, le cinéma, l’aviation et la navigation, avant de trouver refuge dans un petit coin de paradis, loin du tumulte des tournées et des paparazzis… Mais, rattrapé par la maladie, l’escale sera de courte durée…

Le dessin généreux et sensible de Fornies Sagar est au diapason de l’histoire envoûtante concoc-tée par un scénariste talentueux qui s’avère être un formidable conteur d’histoire… Que vous soyez fans de Jacques Brel (comment ne pas l’être ?), de son époque ou de destins hors du com-mun, Brel - Une vie à mille temps est une œuvre forte et passionnante qui vous donnera à n’en pas douter de réécouter ses Marquises, ultime et sublime album…

J’étais vivant, encore jeune, la vie me tendait les bras. Pourtant, un problème se posait… A quoi allais-je occuper mes journées, désormais ? Quand on a atteint les sommets les plus hauts, on peut penser qu’on n’a plus nulle part où aller. Quel chemin suivre à présent ? Pour continuer à s’élever ? Comment s’envoler ? Jacques Brel