Juillet 1930. Sous l’impulsion du français Jules Rime, alors président de la Fifa, la première Coupe du Monde de Football est organisée en Uruguay. Parmi les membres de la délégation française, constituée d’amateurs évoluant dans le championnat de France, Alexandre Villaplane, son jeune capitaine qui joue en milieu de terrain offensif, et Étienne Mattler, redoutable défenseur surnommé « le balayeur ».

Mais, s’ils ont tous deux porté le maillot de l’équipe de France lors de cet évènement, tous deux ont suivi une trajectoire résolument différente… Passionné de course hippique, Villaplane allait être incarcéré pour paris truqués et frayer avec le grand banditisme tandis que Mattler allait poursuivre avec sérieux et droiture sa carrière sportive et porter à son tour le brassard de capitaine de l’équipe de France.

Après la défaite de la France en juin 1940, l’un va tout naturellement devenir résistant tandis que l’autre se livrera au marché noir et au racket des juifs avant de rejoindre le groupe de Henri Lafont et Pierre Bonny qui deviendra la Gestapo française avant d’entrer de plein pied dans la collaboration… L’un deviendra un héros, l’autre un salaud condamné à mort après la libération…

Si Alexandre Villaplane fut le premier capitaine à mener l’équipe de France de Football lors d’une Coupe du Monde, son nom a sombré dans l’oubli, entaché par ses multiples condamnations et son rôle plus que trouble pendant les années sombres de l’occupation, qui obtint de grade de SS-Untersturmführer et fut soupçonné d’avoir pris part au sinistre massacre de Mussidan au lendemain de celui d’Oradour-sur-Glane…

Journaliste sportif spécialiste du football, Arnaud Ramsay signe un scénario habité à la structure alambiquée qui lui confère une charge dramatique et émotionnelle certaine… L’album commence par sa fin : Alexandre Villaplane attend son exécution au Fort de Montrouge et l’auteur imagine Alexandre Villaplane venant rendre visite, à sa demande, à son ancien coéquipier qui a fait les mauvais choix qui l’ont conduit dans ce cellule… Leurs échanges qui ouvrent et referment le récit permettent de mette en lumière tout ce qui sépare désormais ces deux footballers qui évoluèrent, il y a presque une éternité, dans la même équipe…

Le récit va donc nous conter le destin de ces deux anciens capitaines de l’équipe de France, des compromissions de l’un aux valeurs défendues par l’autre mais, fort de ses connaissances footballistiques, le scénariste nous esquisse le portrait d’un sport en train de se professionnaliser et dont les règles ont subtilement évolué au fil du temps (telle l’absence de possibilité de remplacer un joueur blessé), insistant sur l’usage politique de cette manifestation sportive et ce dès ses origines, le tout rendant le récit plus captivant encore…

Le dessin d’Etienne Oburie n’est pas aussi travaillé que dans son Assassin des Petits Carreaux de Nathalie Ferlut mais n’en reste pas moins efficace, tant dans sa retranscription des matchs de football que dans sa description de l’époque tourmentée qui sert de cadre à l’histoire.

Rythmé par les coupes du Monde de Football initiées par Jules Rime, Président de la Fifa (il le restera durant trente-trois ans !), l’album retrace la vie d’Alexandre Villaplane et Étienne Mattler qui furent tous deux capitaines de l’Equipe de France durant l’entre-deux guerre …

Jouant sous le même maillot lors de la première Coup du Monde de l’histoire, leurs choix infléchiront leurs vies respectives, l’un devenant escroc avant de frayer avec le grand-banditisme puis collaborer avec les allemands, tandis que l’autre poursuivra sa carrière avant de rejoindre, presque naturellement la résistance…

Solidement documenté et mis en image par le trait épuré de Etienne Oburie, le scénario d’Arnaud Ramsay, journaliste sportif spécialisé dans le football, nous livre une histoire entraînante à la structure pertinente tout en décrivant un sport en pleine mutation dont l’histoire est au final peu connue du grand public.

- Pourquoi as-tu demandé à me voir ?
- Mon vieux Etienne, tu sais ce qui m’arrive ?
- Oui.
- Je me suis dit que tu pourrais peut-être m’aider avec tes relations.
- T’aider ? Et pourquoi je ferai ça ?
- J’suis pas coupable de ce qu’on me reproche !
- Tu as été jugé.
- Oui, et condamné à mort, je sais. Mais je ne mérite pas la mort. Alors… En souvenir du bon vieux temps… Tu vois ? Parce qu’on en a fait des choses ensemble ! Tu te souviens ?dialogue imaginaire entre Étienne Mattler et Alexandre Villaplane