Paris, dans les années 50. L’avenir d’Ulysse Ducerf semble tout tracé… Après le baccalauréat qu’il obtiendra avec mention, il intégrera la prestigieuse Ecole Polytechnique avant de reprendre la cimenterie familiale… Mais les études en général et les mathématiques en particulier ne le passionnent guère… mais il se plie aux exigences familiales, même quand son père lui supprime les cours du Louvres pour qu’il puisse se consacrer entièrement à ses études…

Mais lorsque le comportement peu honorable de Monsieur Durcef durant l’occupation arrive sur la place publique, conscient des remous qui vont secouer son entreprise et sa famille, ce dernier décide d’envoyer sa femme et son fils se mettre au vert dans une bâtisse qu’il a loué en Bourgogne, un répétiteur se chargeant de préparer Ulysse à son examen…

Les journées passent, interminables… Mais il allait faire une rencontre qui allait bouleverser sa vie bien rangée : celle de Cyrano, disciple d’Epicure et ancien cuisinier étoilé qui n’exerce désormais son art que pour ses seuls amis… Une solide amitié va naître entre Ulysse et Cyrano qui allait lui ouvrir en grand les portes de la Grande Cuisine et faire naître sa vocation…

Les édition Casterman nous offre avec Ulysse & Cyrano un album somptueusement édité : une pagination généreuse, un grand format nous permettant de mieux apprécier le somptueux travail de Stéphane Servain, une couverture toilée rehaussée d’un titrage plein d’élégance et une illustration lumineuse et apaisante dépeignant un pur moment de bonheur : au bord d’une rivière, dans un cadre automnal, un homme assis par terre pêche avec bonhommie tandis qu’un jeune homme fait paisiblement la sieste… Entre eux, un panier de piquenique… Pour un peu, on entendrait le vent qui fait tomber les feuilles, les ronflements insouciants du jeune homme et les clapotis de la rivière et le chant mélodieux des oiseaux…

On découvre Xavier Dorison dans un registre où on ne l’attendait pas nécessairement : celui des récits intimistes et contemplatifs où l’on voit deux solitudes se rencontrer pour permettre à l’un de renaître et à l’autre d’oser renoncer à la vie que d’autre avaient écrite pour lui pour vivre pleinement sa passion… Le scénariste aussi prolifique qu’éclectique et talentueux à qui l’on doit notamment le Troisième Testament, Long John Silver, Undertaker, le Château des Animaux ou 1629 associe sa plume à celle d’Antoine Cristau, qui fait une entrée remarquée dans le neuvième art avec cet album revigorant porté par des personnages singuliers et attachants que les auteurs prennent le temps de poser… On croise tout d’abord Cyrano qui, voyant son rival remporter le trophée qu’il miroitait, décide de jeter son tablier et de brûler son restaurant étoilé… Puis on rencontre Ulysse, étouffé par le carcan familial qui s’emporte parfois contre les décisions de son père, rentre rapidement dans le rang, courbant l’échine pour se conformer aux exigences paternelles… Aux yeux de tous, et même de ses camarades du Lycée Janson, il n’est que l’héritier des Cimenteries Ducerf… Mais le scandale qui éclate et entache la réputation de son père va venir tout chambouler… L’écriture ciselée de l’album et sa temporalité nous font prendre fait et cause pour ce gosse de bonne famille qui se résigne à endosser un costume taillé pour lui par ce père autoritaire qui n’a que faire des passions et des désirs de son enfant. Sa complicité avec sa mère, épouse docile, est joliment retranscrite et l’on sent que l’éloignement de Paris est pour le jeune Ulysse une véritable bouffé d’air… On le voit s’ennuyer ferme avec son répétiteur ou lorsqu’il travaille sur les nombreux exercices donnés par ce dernier pour obtenir sa mention au bac avant qu’un premier rayon de soleil ne vienne illuminer sa vie : Marie, la fille de l’aubergiste dont la beauté trouble le jeune homme… Mais c’est la relation qu’il va tisser avec l’ancien chef qui charpente le récit, avec cette amitié naissance qui prend des teintes de relation filiale… Le mal-être d’Ulysse s’effrite peu à peu et on voit le jeune homme s’ouvrir à la vie et se prendre de passion pour la cuisine, au fil des enseignements de Cyrano, comme une chenille effectue sa mue avant de prendre son envol, comme un marin effectuant un long voyage et qui accoste, tel l’Ulysse d’Homère, transfiguré… Les prénoms des deux personnages principaux ne doivent, comme il se doit, rien au hasard, Cyrano prêtant ses talents culinaires et sa vision de la cuisine à son jeune apprenti qui lui donne en retour sa jeunesse et, sans en avoir conscience, la chance de prouver qu’il n’a rien perdu de son talent et de son inventivité, comme un autre Cyrano prêtait ses mots à Christian pour séduire Roxanne…

Une fois entamé, impossible de reposer l’album tant on est entraîné dans ce récit à la fois simple et bouleversant de justesse et d’humanité. Le scénario de Xavier Dorison et Antoine Cristau fait la part belle aux ressentis et à l’émotion, porté par des dialogues mitonnés avec amour qui nous entraîne vers avec un final aussi inattendu et particulièrement poignant… A noter que l’album se referme sur quelques recettes qui nous donne la possibilité de contenter nos papilles, excitées par la façon charnelle et poétique qu’a Cyrano de parler de cuisine…

Après avoir travaillé avec des scénaristes aussi prestigieux que Luc Brunschwig ou Serge Le Tendre, Stéphane Servain signe avec Ulysse et Cyrano un album aussi somptueux que bouleversant. Très cinématographique, son découpage est d’une rare fluidité et pose avec art des décors baigné chacun d’une atmosphère toute particulière. Mais, surtout, il retranscrit avec justesse l’émotion et les états d’âme de chacun des personnages qu’ils soient des premiers ou de seconds rôles. Le saisissant travail de l’artiste sur leur apparence, leur posture et leur gestuelle permet à chacun de s’incarner pleinement, de prendre chair… L’émerveillement d’Ulysse qui découvre un nouveau monde est palpable et communicatif, tout comme la passion qui anime Cyrano… Comment ne pas, tomber amoureux de la douce Marie et de son regard plein de compréhension ? Comment ne pas s’emporter contre ce père autoritaire qui veut que son fils suive le sillon tracé par ses soins et ceux qui l’ont précédé ? Si les dialogues s’avère particulièrement bien écrit, sous les crayons alertes de Stéphane Servain, les échanges de regards et les silences en disent tout aussi long et il est saisissant de voir chacun des personnages évoluer au fil des pages tandis qu’ils se rouvrent au monde et à la vie… Et le trait aérien et virtuose du dessinateur est littéralement sublimé par une mise en couleur on ne peut plus subtile et par un saisissant travail sur la lumière qui baigne chaque planche…

Xavier Dorison associe sa plume à celle d’Antoine Cristau et aux pinceaux virtuoses de Stéphane Servain pour tisser un récit d’apprentissage généreux et bouleversant de justesse…

La vie d’Ulysse semblait écrite avant même sa naissance : après de brillantes études, il succéderait à son père à la tête la prospère cimenterie familiale comme ce dernier avait succédé au sien… Oui mais voilà, les études et les mathématiques ne sont guère du goût du jeune homme qui s’efforce néanmoins de se conformer aux exigences familiales. Mais les révélations d’un journal jettent un voile trouble sur le comportement de son père durant l’occupation et ce dernier envoie sa famille se mettre au vert en Bourgogne durant la durée du procès… Là, Ulysse fera la rencontre de Cyrano, un épicurien ancien chef étoilé qui allait lui ouvrir les portes d’un nouveau monde et faire naître chez le jeune homme la passion de la Grande Cuisine… Mais son père acceptera-il qu’il tourne le dos au lourd héritage familial ?

Construit autour de deux personnages particulièrement attachants qui vont nouer des liens bouleversant, le scénario de Xavier Dorison et Antoine Cristau est un hymne à la vie et à l’apprentissage du bonheur… Abordant avec finesse la thématique de l’héritage et de la transmission, les scénaristes signent un album d’autant plus bouleversant qu’il est mis en scène par les pinceaux virtuoses de Stéphane Servain qui signe un album somptueux et charnel en tous points délicieux, son travail étant par ailleurs sublimé par une mise en couleur et en lumière aussi fascinante qu’envoûtante… Superbement édité, riche en surprises et en émotions, Ulysse & Cyrano est un petit chef d’œuvre intimiste, graphique et scénaristique qui nous rappelle pourquoi on aime la bande-dessinée.

- Et c’est tout ?!
- Ah non ! Il manque un ingrédient essentiel. Tu vois pas ?
- Euh.. Non.
- Le plaisir.dialogue entre Ulysse et Cyrano