Fausto, Siro et Gian vivent au jour le jour d’expédients et de petits boulots. Travaillant tantôt sur les marchés aux puces, tantôt comme déménageur ou dans la restauration de meuble anciens, vivant de petits trafics, ils naviguent entre les tavernes interlopes et les palais aristocratiques de Gènes, côtoyant la grande bourgeoisie comme des gens peu recommandables…

L’un est un ancien duc déchu et sans le sou, l’autre un séducteur invétéré qui philosophe sur l’existence de Dieu et l’autre un ténébreux amoureux de sa compagne qui aimerait parvenir à arrêter de fumer… Au fil de leurs discussions et de leurs rencontres, belles ou dangereuses, la frontière entre rêve et réalité se fait parfois évanescente, l’un et l’autre se mêlant parfois, au grès de leurs errances diurnes ou nocturnes…

Michele Peroncini signe avec ces Mouvements Celestes un premier album étrange, envoûtant et délicieusement poétique.

La couverture est tout à la fois élégante et somptueuse avec ces trois personnages bien campés qui se baladent de nuit devant une luxueuse demeure et qui laissent deviner des caractères bien différents… Si le premier semble rêveur, le second semble avoir des pensées heureuses et apaisantes alors qu’on devine que le dernier porte en lui une colère sourde qui ne demande qu’à s’exprimer… Elle nous donne d’emblée pris du désir de se plonger dans la lecture de ce roman graphique intrigant…

Faussement désinvolte, le trait du dessinateur italien s’avère tout aussi fascinant que son découpage est envoûtant et induit le rythme de lecture, avec de grandes cases très contemplatives qui permettent d’admirer la beauté de Gènes et des plans plus resserrés qui donnent vie à des dialogues rythmés et délicieusement décalés qui complètent le portrait de nos trois personnages au fil de leur péripéties... L’auteur impose sa patte dès les premières planches, nous entraînant dans un univers à la fois ordinaire et fascinant, les personnages jouant les funambules à la lisière de la réalité… Il se dégage de ses planches une énergie folle et une émotion tout à la fois troublante et saisissante qui force l’admiration et nous entraîne hors des sentiers battus à la suite de ces Pieds nickelés formidablement attachants…

De par sa structure narrative, le scénario fait penser au courant néoréaliste qui infusa le cinéma italien d’après-guerre mais avec une touche de surréalisme en plus… Les galères de notre trio sont ancrées dans la réalité mais leur nonchalance et leur désinvolture évoquent le cinéma de Pier Paolo Pasolini qui, avec son style unique, nous entraînait entre réalité et poésie, jetant des ponts entre les deux pour tisser un univers où toutes se mêlent et s’entremêlent de façon inextricable. Ce subtil changement de paradigme aide l’auteur à pointer les travers de nos sociétés de façon presque métaphorique… On retrouve d’ailleurs l’influence de Pasolini dans l’audace des cadrages et du découpage comme dans la mise en couleur pour le moins singulière de l’artiste…

Les digressions fantastiques délicieusement décalées qui donne une vision allégorique de chacun des personnages évoquent quant à elles certaines séquences des chefs d’œuvre de Federico Fellini qui aimait ouvrir des portes entres deux univers sans liens apparents mais qui enrichissent pourtant l’histoire de façon saisissante…

Tant sur le plan graphique que scénaristique, son travail évoque celui d’un autre artiste italien : le saisissant Manuele Fior qui n’a pas son pareil pour donner vie à des personnages sensibles, poétiques et décalés qui remuent le lecteur et le transportent vers un ailleurs pourtant si proche du notre…

Difficile de croire que ces Mouvements Célestes sont le premier album de Michele Peroncini tant le fond et la forme se rejoignent de délicieuse façon.

Pour joindre les deux bouts, Fausto, Siro et Gian se font tour à tour brocanteurs, déménageurs ou restaurateurs de meubles et flirtent avec la légalité, fréquentant les quartiers interlopes comme les quartiers huppés, la grande bourgeoisie comme les malfrats… Au fil de leurs errances, de leurs discussions et de leurs rencontres interlopes, la frontière entre rêve et réalité va peu à peu s’estomper pour laisser apparaître les mouvements célestes…

Hommage à l’œuvre de Pier Paolo Pasolini, ce récit fascinant et poétique nous esquisse un portrait saisissant de trois hommes au passé et au caractère très différent dont la rencontre et l’improbable amitié qui les lie relève presque du miracle céleste. Doté d’un style graphique affirmé rehaussé par des couleurs singulières et mis en valeur par un découpage envoûtant, tantôt contemplatif tantôt formidablement nerveux, Michele Peroncini signe un premier album somptueux et annonciateur d’une longue et belle carrière…

Réelle surprise de ce début d’année, les Mouvements Célestes est un album simple, touchant et singulier à côté il serait bien dommage de passer…

- A ton avis, Siro, le ciel est-il aussi vide qu’il semble ? Où bien il y a quelqu’un là-haut ?Fausto