16 juillet 1982, impasse du Moulin-Vert, Paris XIVe. Face à un miroir, Patrick Dewaere prend le fusil .22 Long Riffle que lui avait offert Coluche, place le canon dans sa bouche et appuie sur la détente.

Le scénario de Laurent-Frédéric Bollée s’amorce par cette scène avant de revenir sur les quelques seconde qui l’ont précédé… Le visage de l’acteur se reflétant dans le miroir devant lequel il s’est donné la mort va rythmer le récit. L’acteur est le narrateur de son histoire et ce parti pris narratif permet de nous dépeindre un autoportrait aussi fascinant qu’inquiétant d’un homme qui investit ses personnages jusqu’à les incarner pleinement, d’un acteur au talent confondant tourmenté par des blessures de son enfance qui n’ont jamais cicatrisé, et par le secret entourant son père biologique qui le hantera longtemps, jusqu’aux violences sexuelles dont il fut victime enfant et dont il s’ouvrait, parfois, avec pudeur et retenue… Le récit s’amorce donc à rebours, remontant le fil du temps…

Patrick Dewaere lui-même signe un auto-portrait sans concession, bouleversant de justesse qui nous prend aux tripes, comme chacun des personnages qu’il a incarné sur le petit comme sur le grand écran. S’il a choisi sa fin, on ne peut que regretter cette vie qui, un triste jour de juillet, lui a semblé si insupportable qu’il a décidé d’en finir. Savait-il qu’il allait inspirer tant d’acteurs ? Qu’un prix récompensant les meilleurs espoirs masculins porterait un jour son nom ? Cela aurait-il changé sa décision radicale ? Sans doute pas… Truffé d’anecdotes sur ses amours, ses amis et ses emmerdes, sur ses coups de gueules, ses coups de sang, son rejet radical de l’autorité, la douleur viscérale chevillée au corps le récit de Laurent-Frédéric Bollée nous parle de faits moins connus, tels sa passion pour la musique, son envie d’écrire un album ou sa contribution musicale à certains films… On croise bien évidemment dans l’album de grandes figures du cinéma français, de Coluche à Miou-Miou, de Bertrand Blier à Lino Ventura en passant par Alain Corneau, Claude Miller ou Gérard Depardieu, l’éternel rival et néanmoins ami, pire même, un frère… Le récit s’achève d’ailleurs sur un dialogue posthume entre les deux acteurs, un dialogue sobre et bouleversant qui nous laisse imaginer tous ces rôles prestigieux que Patrick Dewaere aurait pu incarner s’il n’avait mis fin à ses jours et nous font toucher du doigt la complexité de leur relation… Avant qu’un fondu au noir ne nous montre le visage de l’acteur, qui semble, enfin, apaisé…

Si le scénario de s’avère tout juste brillant, le dessin sensible de Maran Hrachyan qui signait pourtant avec cette poignante biographie son tout premier album de bande-dessinée le porte magnifiquement. La dessinatrice parvient avec brio à nous faire entendre la voix de l’acteur nous narrant sa propre vie… L’absence d’encrage permet de ressentir toute l’émotion qu’elle parvient à distiller dans son crayonné, joliment mis en valeur par un élégant et subtil travail sur les volumes… Il se dégage de ses planches à la fois une certaine forme de poésie et une violence toute contenue qui entre en résonnance avec le scénario… Dessin et histoire forment ainsi un tout parfaitement cohérent qui contribue à nous chambouler avec ce destin qui s’achève, d’un coup de fusil…

Une fois de plus, les talents de raconteur d’histoire de Laurent-Frédéric Bollée forcent l’admiration. Il ne s’est pas contenté de nous esquisser un portrait de l’immense acteur que fut Patrick Dewaere, il lui donne la parole pour nous le dépeindre dans toute sa complexité.

Grâce à une structure narrative audacieuse qui lui fait amorcer l’histoire un funeste jour de juillet 1982 et en faisant de Dewaere le narrateur de sa propre histoire, il signe un scénario à la fois poétique et violent, mais surtout bouleversant de justesse. L’album refermé, on a l’impression de connaître l’homme derrière l’acteur, presque intimement. Truffé d’anecdotes et de figures du cinéma français, l’histoire est mise en image par une dessinatrice qui signait là son tout premier album. Chargé d’émotion et de poésie. Son crayonné déborde d’énergie, complétant à merveille le portrait de cet écorché-vif qui décida de mettre un terme à son existence…

Cet autoportrait fictionnel est un album poignant qui prend le lecteur aux tripes, malmené par les coups que porte Patrick Dewaere à cet implacable adversaire qui n’est autre que lu même, abîmé par ses blessures d’enfances, les rôles de looser magnifique qu’il a endossé avec le talent que l’on sait, les revers amoureux qui retournait le couteau dans la plaie née d’un père biologique dont il n’a appris que trop tard l’identité. Le reflet dans le miroir qui rythme le récit nous rappelle que l’histoire nous est contée durant les quelques instants qui précédèrent le coup de feu fatal, rendant le récit plus bouleversant encore…

Réédité en en petit format et à petit prix, Patrick Dewaere, à part ça la vie est belle est une petite merveille d’écriture et de dessin qui ravira les amateurs de cinéma en général et les admirateurs de la filmographie de l’acteur en particulier. Mais avant de vous lancer dans la lecture de l’album, assurez-vous que d’avoir sous la main quelques-uns de ses chefs d’œuvre, tant l’album vous donne la furieuse envie de les redécouvrir à la lumière de ce que fut sa vie…

- Je suis le désespéré de service. Quand on fait un film de paumés ou de loser, et que l gros n’est pas disponible, on fait appel à moi.
- Arrête cette rivalité, Depardieu et toi, vous êtes aussi bons l’un que l’autre. D’ailleurs, j’ai un projet pour vous deux, je t’en reparlerai. Je te dis juste le titre : Tenue de soirée.dialogue entre Patrick Dewaere et Bertrand Blier