Si elle est moins connue que Victor de l'Aveyron dont la vie a été adaptée par François Truffaut au cinéma, Marie-Angélique Memmie le Blanc a connu un destin similaire à ceci près qu’elle est parvenue à regagner la civilisation. Enfant ayant passé près dix années dans la nature, elle fut capturée dans le village champenois de Songy en septembre 1731. Elle devint un personnage au destin incroyable, devenant lettrée et cultivée, jusqu’à être considérée par certains comme le personnage le plus extraordinaire de son époque.
1720. une jeune fille de 8 ans, partie du Canada, fuit l’esclavage et accoste au port de Marseille alors en proie à la grande peste. Après avoir été violée elle se réfugie dans les forêts de champagne en compagnie d’une jeune fille noire de son âge dont elle ne parle pas la langue… Ensemble, elles vont survivre dix années dans la forêt… Dix années d’errance à s’efforcer de survivre… Mais un jour, son amie morte, elle est capturée près du village de Songy… Commence alors une lente et progressive réhabilitation, un réapprentissage de la vie en société, alors que des évènements enfouis au plus profond d’elle vont refaire peu à peu surface…
Sauvage, c’est l’histoire d’une vie incroyable faite de multiples morts et de multiples renaissances. L’histoire d’un enfant déraciné, jeté sur les routes de l’histoire au siècle des lumières. L’histoire d’une apatride qui subit les revers du destin, tombe, et chaque fois se relève, plus forte qu’auparavant… L’histoire d’une femme mue par une irrépressible envie de vivre, envers et contre tous… Les auteurs ont fait un formidable travail de recherche, s’occupant à remplir les zones d’ombres de sa biographie, développant la psychologie du personnage, hanté par un souvenir refoulé survenu au terme de ses années d’errance…
Co-scénarisé par Aurélie Bévière (qui signe son premier album) et Jean-David Morvan, l’album est joliment mis en image Gaëlle Hersent, dont le dessin, tout à la fois expressif et débordant d’énergie, s’avère particulièrement élégant. Il donne à ressentir les tourments de Marie-Angélique de façon saisissante et brosse le portrait d’une époque en esquissant celui d’une jeune femme devenue femme.
Son trait subtil contribue à rendre cette enfant sauvage crédible et attachante et son travail sur la couleur, inspiré des toiles de maître de l’époque, est des plus remarquables. La couverture, alliant le raffinement d’une robe à l’animalité d’une posture saisit la complexité de ce personnage historique comme eut pu le faire un portraitiste talentueux… Gaëlle Hersent parvient à distiller à la pointe de ses pinceaux tout à la fois la naïveté de l’enfance et cette animalité héritée de dix années de vie sauvage. Elle parvient à faire passer une foule d’émotion dans des scènes muettes et on ne peut qu’être impressionné par le talent de cette jeune dessinatrice qui pour sa première BD signe un album magnifique de près de 200 planches!
Sauvage est un biopic graphique captivant et édifiant qui parle d’un personnage remarquable dont la vie a été estompée par les tourments de la révolution. S’ancrant solidement sur des faits avérés, les auteurs sont parvenus à faire revivre une Marie-Angélique crédible et bouleversante, contribuant à diffuser cette histoire hors du commun et néanmoins véridique…