Après s'être attaqué avec brio à l'oeuvre de Léo Malet, en mettant en image les enquêtes de Nestor Burma, Jacques Tardi adapte avec talent l'oeuvre de Manchette, auteur de polar violents et incisifs qui fait la part belle à des personnages qui se définissent plus par leur comportement et leurs actes que par leur psychologie.

Après le Petit bleu de la côte ouest (Les Humanoïdes Associés, 2005) et la Position du tireur couché (Futuropolis, 2010), Tardi s'attaque donc à un roman de « jeunesse » de Manchette paru en 1972 et couronné du Grand Prix de littérature policière l'année suivante. Sous ce titre étrange, référence au poème Ô saisons, ô châteaux d'Arthur Rimbaud, ode aux rêves et aux ambitions ensevelies par le temps.
Véritable road-movie ou Dame Folie règne en maître, cette adaptation paraît une fois de plus comme une évidence. Fustigeant les travers de la société de l'époque des Trentes Glorieuse (à commencer par la consommation de masse mise en scène dans une fusillade délirante dans une superette), l'oeuvre de Manchette n'a rien perdu de son mordant et de sa noirceur. L'intrigue est une fois de plus simple, épurée. Des tueurs, mandatés par un mystérieux (bien qu'évident) commanditaire, leurs cibles, Julie, souffrant de troubles mentaux, un gamin mal élevé, une fausse tentative d'enlèvement qui masque un meurtre planifié, un grain de sable dans l'engrenage et une course poursuite sanglante qui s'engage à travers la France...
Mais ce n'est pas tant l'intrigue qui fait la richesse de l'album que ses personnages. Ceux de l'album sont délicieusement dérangés et leur confrontation à des évènements qui va faire exploser leur réalité va les faire glisser d'un quotidien rationnel (ou presque) à l'irrationnel le plus exacerbé. De ce patron trop philanthrope pour être honnête à ce tueur à gage hallucinant, en passant par ses acolytes quelque peu obtus et la nurse frapadingue dont l'errance conduira à un final dantesque qui synthétise le propos et donne toute sa justification au titre de l'album... Une impressionnante et jubilatoire galerie de personnages.

Magistralement mis en scène, l'ensemble est se veut, comme l'était le roman, très cinématographique. Les amateurs de Tardi seront en terrain connu et ceux de Manchette ne pourront qu'apprécier le respect de l'esprit du roman...

Ô dingos, ô châteaux est un polar violent et grinçant, superbe adaptation du roman qui annonçait le néo-polar, qui dénonça avec vigueur les travers de nos société contemporaine.