Dès ses premiers albums, Fabien Nury s’est rapidement imposé comme un scénariste phare du neuvième art. Les sujets dont ils s’emparent et la façon dont il les traite, son sens de la narration et le soin apporté aux personnages ont donné naissance à des séries incontournables telles Je suis légion, l‘ Or et le sang, W.E.S.T. , Necromancy ou la Mort de Staline. Chacune, dans son registre, s’avère être une série indispensable à tout amateur de BD. Il était une fois en France est de ces série qu’on ne peut oublier et qui vous hante durablement.
S’abreuvant aux sources de l’Histoire, Fabien Nury a exhumé un personnage incroyable qui avait peu à peu disparu de la mémoire collective, alors même qu’il synthétisait la complexité de l’occupation. Un personnage tellement invraisemblable qu’il paraîtrait dans tout œuvre de fiction comme trop extravagant pour être crédible… Et pourtant, Joseph Joanovic, juif d’origine roumaine fut tour à tour (ou plutôt simultanément) résistant et collaborateur, il alimenta la machine de guerre allemande en leur fournissant l’acier nécessaire à la construction de leurs machines de guerre, fraya avec les nazis, organisa des réseaux pour sauver les juifs, finança la résistance… C’est peu dire que est un personnage complexe aux contours flous, tant et si bien que certains considère comme un héros et d’autres comme un traître. Ce sixième opus se propose de nous raconter la chute de celui qui pendant l’occupation devint l’homme le plus riche de France.
Nous sommes en juillet 1949. Joseph Joanovic comparaît devant Cour de Justice de Paris pour collaboration. Son avocat est des plus optimiste puisque son activisme de fin de guerre lui ont permis de sauver de nombreux juifs d’une mort certaine. Pourtant, sous l’impulsion du petit juge de Melun, le procès s’achemine vers une tout autre issue. Mais savoir son ennemi intime condamné et ruiné ne suffit pas au petit juge. Il poursuivra Monsieur Joseph de sa vindicte, lui rappelant qu’il est toujours là, dans son ombre, pour lui faire payer l’ensemble de ses crimes. Dans son aveuglement à chercher la justice, il va faire une croix sur tout ce qui constituait sa vie, perdant sa femme et ses enfants, tout comme Janovic, finalement. La scène de leur rencontre sur le banc d’un parc s’avère particulièrement bouleversante et met un terme à la vie de cet homme hors du commun qui joua sur tous les tableaux. Mais difficile de lui jeter la pierre. Si ses actions sont condamnables, qu’a-t-il fait sinon chercher à assurer sa survie et celle de ses proches… C’est d’ailleurs ce qui fait la force du récit conté dans Il était une fois en France : il ne prend pas parti, refuse tout manichéisme, se contentant de présenter les faits, édifiants, laissant au lecteur le soin de se forger sa propre opinion sur l’homme que fut Joanovic, un portrait sans concession, tout en contraste, dans toute sa complexité…
Le dessin de Sylvain Vallée est encore et toujours d’une redoutable efficacité. Ses plans cinématographiques, son trait semi-réaliste et la mise en couleur impeccable immerge le lecteur dans cette époque trouble. Son travail sur les costumes et les décors est saisissant, renforçant l’impression de visionner un polar noir des années 50. Et plans rapprochés mettent subtilement en relief les émotions qui traversent les principaux protagonistes, Lucie-Fer, Janovic et le petit juge, une étrange variante sur la thématique sur le thème du mari, de l’épouse et du cocu, les rôles s’inversant parfois, au grès d’une trahison…
On se prend à rêver d’une adaptation cinématographique encore en pourparlers. Il ne sera pas facile de condenser en un film les six tomes de la série tant chaque scène a son importance dans le déroulement de cette incroyable histoire mais si le film est à moitié aussi bon que la série l’est, cela promet!
La Terre Promise clôt l’une des plus formidable série se déroulant pendant l’occupation. Le portrait de la France qui y est brossé et que l’on devine derrière celui de Joseph Joanovic s’avère tout à la fois captivant et dérangeant. La façon dont il bâti sa fortune par deux fois, pour tout perdre et reperdre et finir presque seul dans la misère est édifiante. La relation le liant au petit juge de Melun qui l’a voué aux gémonies pour de fausses raisons accentue le tragique de cette destinée hors du commun, de même que Lucie, qui le trahie par amour… Un récit poignant qui ne laissera personne indifférent et qui se garde bien de tracer une frontière entre le bien et le mal… Magistral…