Si le nom de Violette Nozière n’évoque personne pour beaucoup, elle n’en défraya pas moins les chroniques judiciaires et criminelles dans les années 30. Après être devenu l’égérie du mouvement surréaliste, sa vie fut portée à l’écran en 1977 par l’immense Claude Chabrol (avec Isabelle Huppert dans le rôle-titre) et fut déjà en 2012 l’objet d’une adaptation BD dans la collection
Les Grandes Affaires criminelles et mystérieuses des éditions De Borée. Il faut dire que son tragique destin ne peut laisser indifférent…
L’action démarre en 1934 dans les couloirs du palais de justice de Paris. Violette Nozière, 19 ans, va y être jugé pour le meurtre de ses deux parents qu’elle a froidement empoisonné… Dans l’attente de l’ouverture de son procès, elle va songer aux tragiques évènements qui l’ont conduit sur ce banc…
Jeune fille, elle rêvait d’indépendance et de liberté, de s’affranchir de la tutelle moralisatrice de ses parents pour vivre, tout simplement. Elle connaît très jeune ses premiers émois amoureux et collectionne les amants enfilant les mensonges sur le fil de son imagination comme d’autre enfile des perles, s’inventant une vie pour s’affranchir de ses modestes origines et se fondre dans le monde étudiant aisé et bourgeois. Les Saintes-Famille-Machin condamnent sans vergognes sa vie si dépravée qu’elle attrape la syphilis, à la grande honte de ses parents. Mais la jeune violette ne s’arrête pas là et s’englue peu à peu dans ses mensonges… Pour subvenir à son train de vie dispendieux, elle commence à dérober de l’argent à ses parents et se prostitue occasionnellement, amorçant une lente dérive et esquissant les contours fragiles d’une double vie. Sa fuite en avant semble sans retour possible. Pour donner corps aux promesses faite à son amant du moment, elle n’a semble-t-il d’autre solution que d’empoisonner ses parents pour toucher leur héritage…
L’aspect judiciaire de l’affaire est juste esquissé dans l’album, complété en cela par un petit dossier qui le clôture. Elle fut condamnée à mort, graciée, libérée puis, étrangement réhabilitée et put entamer une nouvelle vie… Violette Nozière fut sans nul doute coupable et méritait d’être condamnée. Mais le poids de la société, les regards inquisiteurs que les gens portaient sur sa vie qu’ils jugeaient dissolue, les couches sociales peu poreuses, le manque de liberté de cette jeune fille vivant à une époque où une femme n’avait pour seul horizon que de se marier et de faire des enfants furent sans doute pour beaucoup dans ce tragique destin. Le scénario d’Eddy Simon nous livre ce personnage dans toute sa complexité et le remarquable travail graphique de Camille Benyamina, jeune illustratrice issue de l’école Émile Cohl et qui signe là son premier album, est tout juste saisissant.
Son trait et ses couleurs très douces servent remarquablement ce récit intimiste, saisissant à merveille ce personnage. Tour à tour femme avec ses amants, et enfant lorsqu’elle tente d’apaiser ses parents, son apparence évolue subtilement au grès du scénario, la laissant apparaître dans toute sa complexité. Ses teintes sépias sont en parfaite osmose avec l’époque du récit, immergeant le lecteur dans une époque lointaine avec une facilité désarmante.
Les auteurs de
Violette Nozière, vilaine chérie signent là un album saisissant qui ne se contente pas de parler du tragique descente aux enfers d’une femme rêvant d’émancipation. Elle se propose de dépeindre une époque où les femmes étaient écrasées dans cet implacable étau moral… Cela n’excuse pas bien sûr l’acte terrible commis par la jeune femme, mais cela permet de comprendre comment elle a pu arriver à pareil extrémité… Laissons le mot de la fin à Isabelle Huppert : « L'horreur de son acte n'a d'égal que sa souffrance ».