Anne-Laure Reboul et Régis Penet nous entraînent dans un futur dystopique avec un récit particulièrement glaçant…
Anne Bréjinski se retrouve face à ses juges pour un procès retentissant. Les actes dont on l’accuse semblent être particulièrement grave, de ceux à même de menacer la société dans son ensemble…
Au fil du procès, toute la lumière sera faite sur les faits si graves qui lui sont reprochés et qui devraient lui valoir une lourde condamnation… A la lecture des faits, la jeune femme qui travaille comme agent d’épuration dont le rôle est de retrancher des résidus de l’ancien monde, est tombé par hasard sur un sachet de graines de tomate qu’elle eut l’inconscience de planter et de faire pousser…
Il existe une filiation évidente entre
la Tomate et le
Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Ici, ce n’est point les livres qui sont voués à la destruction… ou en tous cas pas uniquement… Car tout ce qui peut rappeler un passé révolu le monde d’avant le grand retranchement (livres, armes, œuvres d’arts et graines) est appelé à disparaître…
Dans ce monde aseptisé ou l’eau est devenue une denrée précieuse, l’humanité se divise en trois classes qui sont autant de castes… La première jouit comme en s’en doute de privilèges sidérants alors que la troisième est parquée dans des ghettos miséreux… L’alimentation est quant à elle régie par de toute puissantes multinationales dont le pouvoir semble dépasser celui des états.
Contrairement à ce que la thématique et le procès pouvait le laisser supposer, Anne Bréjinski n’a rien d’une résistante. Elle comprend et accepte docilement la loi, regrettant que les membres du troisième cercle ne soient pas éradiqués puisqu’ils ne sont que de zombies inutiles qui n’ont aucune fonction dans la société… sa « déviance » n’en est que plus inexplicable, tant pour l’état que pour ses proches… ou pour elle-même…
Le monde glaçant esquissé dans cet album esquisse les contours d’une société particulièrement déprimante… mais aussi et surtout un avenir possible, à l’heure où l’écart entre riches et pauvres ressemble de plus en plus à un gouffre insondable… à l’heure où les paysans ne peuvent parfois plus replanter leurs propres semences, contraints de les racheter à des géants de l’agrochimie tel Monsanto qui manipule sans vergogne l’ADN des graines…
Régis Penet signe un travail graphique en parfaite osmose avec le récit qu’il a écrit à quatre mains avec Anne-Laure Reboul. Son trait épuré et sa mise en couleur savamment étudiée renforce le propos de façon particulièrement saisissante, accentuant l’aspect déshumanisé du récit en donnant à Anna et à la tomate une couleur qui tranche avec le monde, comme si l’un comme l’autre n’étaient que des intrus dans cet univers normé et aseptisé…
La Tomate nous entraîne dans une dystopie d’autant plus glaçante qu’elle esquisse les contours d’un avenir possible : une société où l’écart entre riche et pauvre s’est accru à l’extrême… une agriculture à la botte des société agroalimentaire et une acculturation des masses qui estompe les notions même de bien du mal rendant impossible tout jugement moral…
Dans la lignée du Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, Anne-Laure Reboul et Régis Penet signent un récit d’anticipation inquiétant où la plantation d’un simple graine de tomate peut faire d’un citoyen un dangereux criminel à même d’ébranler la société tout entière…
Un album fort et poignant porté par un dessin réaliste en parfaite osmose avec le propos des auteurs…
En attendant… Hop! Une merde de moins sur cette terre! Anne Bréjinski