L’Espagne semble être un formidable vivier d’auteurs comme le prouve ce captivant récit écrit à quatre mains par Ivan Ledesma et Miguel Angel Parra et dessiné par le talentueux Jandro Gonzalez nous entraînant au début du XXeme siècle dans la Barcelone moderniste.
1912. La capitale catalane est en émoi depuis la disparition de la jeune Terésita, enlevée en plein jour le 10 février 1912 dans une ruelles de Barcelone. Les esprits s’échauffent devant l’apparente passivité des autorités qui n’ont pas l’ombre d’une piste après deux semaines de recherche.
Pourtant, le 26 février, la fillette est aperçue à la fenêtre de l’entresol d’un immeuble modeste par une passante qui la reconnaît et avertit aussitôt José Asens, agent municipal qui en informe sa hiérarchie… Le lendemain, Enriqueta Martí, l’occupante de l’appartement, est mise aux arrêts… Elle prétextera avoir trouvé la fillette affamée dans la rue et avoir agit en bonne chrétienne en lui portant assistance et en lui offrant un repas…
Si Terésita a été retrouvée sauve, l’enquête menée par le juge De Prat ne faisait que commencer et allait fortement ébranler sa foi en l’humanité…
De nombreux pays ont leur tueur en série emblématique, annonciateur des horreurs du XXeme siècle. L’Angleterre a eut Jack l’Eventreur… la France Joseph Vacher… Et l’Espagne Enriqueta Martí…
Car le récit concocté par Ivan Ledesma et Miguel Angel Parra n’est pas une fiction mais bel et bien la transposition pour le moins fidèle de cette sinistre affaire. Plutôt que d’échafauder des théories fumeuses, les scénaristes se sont efforcés de rendre compte des éléments factuels, faisant appel à l’intelligence du lecteur pour relier les différentes informations collectées par le juge De Prat au cours de son édifiante enquête.
Bien sûr, les auteurs se sont permis quelques raccourcis, privilégiant la narration au pur respect de la véracité historique. Ainsi, dans l’album, Claudia Elías, la voisine ayant aperçu Teresita Guitart Congost, s’adresse-t-elle directement à Asens, sans parler des doutes partagés avec une autre voisine qui elle aurait informé l’agent municipal. Le tableau esquissé par les auteurs n’en est pas moins glaçant, tel le témoignage d’Angelita, présentée par Enriqueta Martí comme étant sa fille, et qui parle du meurtre d’un garçonnet dont elle aurait été témoin… ou les cadavres d’enfants découverts dans les différentes propriétés appartenant à la tueuse… Difficile de ne pas songer à la sulfureuse Elisabeth Bathory, la Comtesse sanglante, dont la légende noire est fortement remise en question à la lumière des recherches les plus récentes. Il en va de même pour le Vampire de Barcelone qui a emporté dans sa tombe ses noirs secrets et ses mystères, sans que l’on sache vraiment quel fut son rôle dans cette sinistre tragédie ni qui furent les puissants soutiens que l’on devine en coulisse…
Plein de noirceur et d’élégance, le dessin de Jandro Gonzalez s‘avère être d’une redoutable efficacité. Sa colorisation dans des teintes sépias ancrent le récit dans son temps et sa reconstitution du Barcelone de la Belle Epoque s’avère pour le moins crédible et convaincante… Il donne vie à une formidable galerie de personnages, subtilement malsains et dérangeants, contribuant à instaurer cette ambiance oppressante et nauséeuse qui assaille tant le juge Fernando De Prat que le lecteur qui découvre abasourdit cette ténébreuse affaire…
Construit comme un polar, le récit écrit à quatre mains par Ivan Ledesma et Miguel Angel Parra et superbement mis en image par le trait élégant de Jandro Gonzalez qui distille avec art une atmosphère délicieusement suffocante et dépeint une bien sombre affaire, loin d’être élucidée puisque le vampire a emporté ses terribles et macabres secrets dans la fosse commune du cimetière de Montjuïc…
Riche en sinistres rebondissements, l’enquête s’avère tout à la fois dérangeante et captivante… Mais aussi particulièrement frustrante puisque les auteurs se gardent bien de donner le fin mot de cette tortueuse affaire, se contentant de relater, avec un indéniable talent, les évènements purement factuels, laissant au lecteur le soin de tirer ses propres conclusions…
Ce Vampire de Barcelone n’en reste pas moins un album fascinant qui fait revivre l’un des monstres engendrés par le XXe siècle…
Je me fiche des journaux. Je parle de preuves. Enriqueta Marti a été en prison pour diverses raisons : prostitution de mineurs, séquestration, suspicion d’assassinat, escroquerie… Et à chaque fois, quelqu’un lui a payé les meilleurs avocats. Elle a échappé à toutes les condamnations. Elle est sortie blanchie de tous les procès. Ne trouves-tu pas cela étrange ? Elle a des protecteurs, Carmin ! C’est un fait !le juge Fernando De Prat
(*) en référence au livre (très contestable) de Patricia Corwell sur Jack l’Eventreur