Il était un exilé, il n’est plus que le numéro 214. Assi dans un bureau éclairé par une lumière blafarde perdu dans une pièce immense, un bureaucrate lui demande de conter son histoire afin de compléter son dossier…
N°214 entame son récit par un mensonge. Mais des ombres dansant autour de lui le supplie de raconter la vérité, sans quoi ils mourront une seconde fois… L’homme reprend alors son histoire, qui commence dan le Petit Pays, ravagé par de sinistres cavaliers sanguinaires qui massacraient hommes, femmes, vieillards et enfants. Ecoutant son grand-père, il est parti sur les routes avec de sa petite sœur, avec l’obligation de survivre pour poursuivre leur histoire, ailleurs…
Pour parler des migrants, partis sur les routes de l’exil dans l’espoir d’une vie meilleure, certains on choisit l’approche documentaire, tel Fabien Toulmé et son formidable
Odyssée d’Hakim, d’autre la fiction…
Après avoir mis en scène son histoire au théâtre, Vincent Zabus associe sa plume avec les crayons d’Hippolyte pour signer un conte métaphorique d’une puissance évocatrice peu commune…
Difficile de ne pas être une fois de plus impressionné par la capacité du dessinateur à se renouveler à chaque nouveau projet, changeant subtilement de style ou de technique pour servir au mieux le récit qu’il met en images… Et pour ces
Ombres son trait, tirant vers l’épure, se fait tout à la fois tourmenté et poétique.
Renforcé par une mise en couleur sensible et délicate, l’artiste suggère la violence avec une rare subtilité et distille l’émotion au fil des pages, faisant ressentir jusqu’au plus profond de nous les sentiments qui assaillent l’exilé, les peurs, les inquiétudes et les angoisses qui sont siennes alors qu’il égrène ses souvenirs et se remémore les dangers qu’il a affronté pour arriver en ces lieux, devant ce vieux bureaucrate amputé du cœur qui retranscrit ses souvenirs dans un énorme dossier impersonnel.
Les ombres irréelles entourant 214 ne sont pas sans évoquer les étranges créatures peuplant l’onirique et cauchemardesque
Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki, tout comme ce récit, écartelé entre songe cauchemardesques et réalité…
Vincent Zabus signe un scénario fantasmagorique d’autant plus bouleversant qu’il est mis en image par le talentueux Hippolyte qui donne corps aux chimères imaginés par le scénariste de façon saisissante. Ce conte métaphorique aborde avec subtilité le sort des migrants, des épreuves qu’ils traversent aux tourments qui sont leurs et s’incarnent dans ces ombres, en passant par l’ogre capitaliste qui exploitent la misère des peuples aux société occidentales réticentes à l‘idée d’accueillir ces exilés qui n’aspirent pourtant qu’à vivre dignement…
Oscillant entre songes et réalité, les Ombres est un chef d’œuvre poétique et bouleversant qui aborde un sujet toujours tristement d’actualité sous la forme d’un conte métaphorique remarquablement orchestré…
Fuyez et vivez ! C’est par vous que notre histoire se poursuivra !le grand-père