



Rien ne prédestinait Louis Kerbraz, venu de sa bretagne natale, et Lieselotte Ruf, jeune photographe allemande, à se rencontrer… Mais si la guerre éloigne les peuples, elle rapproche parfois les cœurs… Alors que les combats faisaient rage, ils allaient se trouver, par hasard… Rapproché par l’art, ils allaient s’aimer, malgré la guerre, et de leur amour secret allait naître un petit garçon…
Mais si la guerre les avait rapprochés, elle allait séparer les amants… et l’ « enfant de la honte », conçu hors mariage, allait, à sa naissance, être abandonné à un orphelinat allemand où il subira les insultes et les brimades, nourrissant une haine viscérale contre ces deux parents qui l’avaient conçu et abandonné à son triste sort…
En âge de combattre lorsqu’éclate la guerre, il ne rêvera que de croiser son géniteur pour lui faire payer l’âpre vie auquel il l’a voué…
Derrière les signes ennemis amorce une saga familiale qui s’interroge sur ce qui nous constitue et forge notre identité, ces évènements auxquels nous sommes confrontés, ces épreuves qu’il nous faut affronter, ces drames qui nous brisent ou nous renforcent, sans oublier ces rencontres, déterminantes, qui jalonnent notre vie… Difficile de comprendre quelqu’un sans chercher à comprendre ce qu’il a traversé…
Pour illustrer leur propos, Nathalie Ponsard-Gutknecht et Miceal Beausang-O'Griafa s’attachent donc au destin d’une étrange famille balloté par l’histoire : un français et une allemande qui vont se rencontrer et s’aimer sur la ligne de front, cet enfant qui naîtra de leur union et grandira dans la haine de ses géniteurs qui l’ont abandonné, jusqu’à ce que, devenu soldat à son tour, il ne rêve que de croiser et de tuer ce père dont il ne sait pourtant rien… Symbole de la haine entre les peuple attisée par des années de guerre et d’endoctrinement, les retrouvailles entre le père et le fils après des mois de Drôle de Guerre sont placées sous le signe de la violence. Car si l’amour peut naître au cœur des ténèbres de la guerre, la haine peut se construire dans le calme apparent de la paix. En filigrane s’esquisse la construction européenne à venir et qui verra des peuples jadis ennemis décider, ensemble, d’un avenir commun… Breton, français, européen ? Louis Kerbraz aurait aujourd’hui été tout cela à la fois… Et, à l’heure ou la guerre se répand à quelques encablures de nos frontières, il est bon de se rappeler que d’autres choix sont possibles…

Les deux scénaristes jouent avec finesse de la temporalité pour accentuer la dramaturgie de leur histoire, de ce gamin maltraité au cœur de l’orphelinat dans lequel il a échoué en passant par les prémisses de la Seconde Guerre Mondiale et la rencontre de ses parents, véritable rayon de soleil, dans la boue des tranchées… Sans doute les prochains tomes s’intéresseront-ils au cousin alsacien de Lieselotte Ruf qui eut tant de fois à changer de nationalité, au fil des vicissitudes de l’histoire…
On doit les dessins de ce premier tome au talentueux Aurélien Morinière, artiste rare qui, après avoir commencé à travailler dans l’animation est venu à la BD avant de se consacrer avec un talent saisissant à la peinture. Avec ce premier tome de
Visages, il signe un album somptueux et c’est peu dire que la couverture à la maquette épurée intrigue autant qu’elle attire le regard. Son trait sensible et délicat est sublimé par une mise en couleur fascinante qui retranscrit avec force les différentes ambiances du récit et la violence des sentiments des différents protagonistes… On sent la haine grandir dans le regard de l’enfant, et la passion emporter Louis et Liselotte bien qu’appartenant à des nations ennemies… Le trait de l’artiste sait se faire des plus sensuel lorsqu’il s’agit de mettre en scène le corps des amants qui s’étreignent mais parvient avec autant de force à retranscrire la violence et la haine qui s’empare d’un jeune homme lorsqu’il croise la route de se père honni…

Difficile de ne pas être impressionné par son découpage moderne, ses cadrages incisifs ou le soin apporté à l’élaboration des décors, de cette église en ruine qui abrite les amours secrets de Liselotte et de Louis en passant par les paysages où se dérouleront les tragiques retrouvailles du père et du fils.
Premier tome d’une saga familiale et historique prévue en quatre tomes, Derrière les signes ennemis nous entraîne au cœur des deux guerres mondiales qui ont ravagé l’Europe et brisé une famille en devenir.
A travers le destin tourmenté de deux amants qui se sont connus sur la ligne de front et de l’enfant né de cette folle passion et qui allait nourrir une haine féroce à leur égard, Nathalie Ponsard-Gutknecht et Miceal Beausang-O'Griafa interrogent sur les évènements et rencontres qui forgent notre identité.
Somptueusement mis en image par le talent Aurélien Morinière, Visages - Ceux que nous sommes est un projet intrigant et ambitieux dont il nous tarde de connaître la suite…
Vous avez la beauté des femmes peintes par Klimt…Louis Kerbraz