Eté 1944. Après une guerre qui a embrasé l’Europe et le monde, le III Reich avance lentement vers sa fin…

Dénoncées par leur concierge mais sauvée in extremis par leur voisin, Katarina et une autre résistante vont se réfugier dans un manoir de la campagne lyonnaise… Mais des villageois résistants de la onzième heure les obligent à prendre la fuite alors que leur bienfaiteur, collaborateur notoire, est abattu par un ancien complice qui, sentant le vent tourner, a retourné sa veste.

Juin 1945. Le Reich s’est écroulé et l’Allemagne n’est plus qu’un champ de ruine que se sont partagé les vainqueurs de la guerre. Chacun vit d’expédient et s’arrange avec la morale. Revenu chez lui, Martin retrouve Erlinger qui lui apprend le décès de sa mère. Il retrouve sa place de professeur dans son ancien lycée. Entre misère et privations, la vie reprend son cours lorsque l’avocat chargé de la défense de Gerd Reinecke vient lui demander de témoigner au procès de son client…

Amorcé à l’aube du XXe siècle, Amours Fragiles est une série fascinante qui nous entraîne dans les coulisses de l’histoire dans le sillage d’un jeune homme qui va voir son pays s’abandonner entre les mains du nazisme et le monde basculer dans la guerre…

Le récit de Philippe Richelle ne prétend pas nous présenter le détail des combats ou le déroulé de la guerre. Il nous en esquisse un saisissant aperçu vu à la hauteur d’une poignée d’hommes et de femmes qui l’ont traversée, chacun à sa façon. Aucun d’entre eux n’est ou tout noir ou tout blanc ou noir et les principaux personnages se situent dans cette zone grise qui souligne leur sublime et désespérante humanité… Et c’est ce qui fait la force de l’histoire, la rend tout à la fois tragiquement crédible et profondément bouleversante.

Cet ultime opus de cette saga qui aurait pu nous conduire jusqu’à la chute du mur de Berlin nous décrit avec force détails l’Allemagne d’après-guerre. Une Allemagne où règne la misère, gangrénées par le marché noir et les trafics en tout genre, et où chacun semble prêt à tout pour assurer sa subsistance et celle de sa famille… Une Allemagne qui va devoir solder ses comptes avec ce passé encore brûlant et ces familles endeuillées par ces années passées sous le joug d’un régime totalitaire jusque-boutiste. Mesquineries, vengeances et corruption semblent présider au destin de millions d’individus, le paroxysme étant atteint avec c procès où un témoin de confession juive st achetés pour atténuer les charges pesant sur d’anciens soutiens indéfectibles au régime nazie… L’ensemble étant commenté au travers de monologues poignant par un Martin aussi lucide que désabusé…

On retrouve en filigrane ces amours fragiles, ces femmes que Martin a aimé dans ces années terribles et dont il va recroiser la route… Ses retrouvailles avec la petite Alicia sont bouleversantes à souhait et la scène où il la retrouve au cœur de l’orphelinat dans lequel elle a échoué est l’un des grands climax de l’album, tout comme cette avant dernière séquence, sur cette plage, ou les anciens amants se disent adieu, une nouvelle fois… L’album s’achève sur un retour au temps présent, avec un Martin, arrivé au soir de sa vie, qui se souvient de son histoire et de cette guerre qui lui a volé ses plus belles années avant de porter un regard pessimiste sur l’avenir de cette Europe imparfaite qui se devait d’assurer la paix… Une page se referme, une série s’achève… Mais quelle formidable série !

S’appuyant sur une solide documentation, Jean-Michel Beuriot met en musique la formidable partition de son complice Philippe Richelle avec un trait plein d’élégance et de sensibilité. Le soin apporté aux décors, aux costumes et aux accessoires ancrent le récit dans son temps alors que la façon dont le dessinateur aborde l’attitude, l’apparence et les regards de chacun des personnages souligne leur tortueuse complexité et met en lumière le soin apporté à l’écriture de chacun d‘entre eux… La couverture, où l’on voit les personnages debout sur un tas de ruines, s’avère des plus impactante, retranscrivant avec finesse l’ambiance crépusculaire qui donne son titre à ce dernier album…

On ne peut une fois encore qu’être impressionné par la façon dont les auteurs jouent de la temporalité, maniant l’ellipse temporelle avec un art consommé en nous esquissant un saisissant portrait de l’Allemagne d’après-guerre, une fois que s’est tue le tumulte des bombes et le fracas des armes…

Amours Fragiles est indéniablement l’une des séries majeures du neuvième art.

S’appuyant sur une solide documentation, un travail d’écriture des personnages remarquable et une maîtrise de la narration saisissante, Philippe Richelle nous a entraîné au fil de neuf tomes dans le sillage d’un jeune homme… Scénariste chevronné passionné d’histoire et de politique, il nous a décrit avec art la montée du nazisme, le basculement dans la guerre et son déroulé à travers le destin d’une poignée d’individus et le regard lucide et désabusé d’un vieil homme arrivé au crépuscule de sa vie… et qui se souvient… de ces petites compromissions, de ces rencontres, de ses amours emportés par le vent de l’Histoire, de ces hommes et femmes qui n’en revinrent pas et de ceux que ces tragiques évènements ont profondément changé…

Le trait sensible et délicat de Jean-Michel Beuriot et les couleurs de Dominique Osuch mettent avec nuance et finesse en images la partition ciselée de Philippe Richelle, faisant ressortir l’humanité tragique et romanesque de chacun des personnages…

Crépuscule parachève une œuvre somptueuse et plein de justesse qui fait d’ores et déjà partie des classiques incontournables…

J’ai passé les six derniers mois sur le Front de l’Est… Un être humain ne devrait jamais vivre ce que nous avons enduré… et ce que nous avons fait.Ottmar