Riley Richards, un trentenaire qui, malgré les apparences, à tout du looser, revient sur les lieux de son enfance suite à la récente hospitalisation de son paternel. En dehors de ce problème, il devrait être heureux. Il a épousé une fille magnifique, son richissime beau-père l’a embauché et il est devenu vice-président de la société. Malheureusement, il vient de découvrir que celle qu'il croit aimer le trompe, son père décède et ce retour « chez lui » a ouvert la boîte à souvenirs. Il prend alors conscience qu’il fait semblant de vivre, que son couple n’existe plus depuis des années, que le contrat de mariage qu’il a été contraint de signer le laissera sans rien en cas de divorce, or il aime l'argent. L’évidence s’impose : son épouse doit mourir.
Ed Brubaker, le scénariste, disait dans une préface de Scalped : « Les meilleurs polars nous font totalement oublier l'intrigue en nous livrant des personnages que l'on comprend si bien qu'on ne peut s'empêcher de les regarder tomber». Toujours à propos du genre, Jean Patrick Manchette déclarait : « Je décrète que le polar ne signifie nullement roman policier. Polar signifie roman noir violent.»
Voilà, vous savez tout de Criminal, série en six volumes indépendants qui, sans rien révolutionner, rend un hommage appuyé au roman noir. Ed Brubaker réutilise tous les codes de manière efficace, avec une intelligence impressionnante. Ici, contrairement aux cinq tomes précédents, il ne nous propose pas une plongée dans la marginalité. Point de malfrats, d'êtres bringuebalés par l’existence tentant de survivre et de fuir les traumatismes du passé. Non, seulement un cadre supérieur qui veut refaire sa vie sans perdre l’argent dont il dispose et dont la perte ferait clairement son malheur. Paradoxalement, alors que notre homme bascule dans la criminalité, le scénariste parvient à le rendre sympathique. Comme d’habitude la psychologie des personnages est savamment travaillée, la narration est habile avec, en particulier, ces plongées dans la jeunesse de Riley, souvenirs d’une époque heureuse dans lesquels tous les germes du drame actuel sont toutefois bien présents.
Le dessin de Sean Philips colle parfaitement bien au récit avec, dans ce tome, une originalité : pour les flashback, il adopte un style plus « cartoon », avec des faciès souriants et une colorisation plus vive contrastant fortement avec l’aspect dur et sombre de son trait habituel. Ce dernier pourra dérouter les lecteurs qui ne sont pas habitués aux comics, mais se révèle plutôt envoutant dans le cas présent. Certes les décors sont minimalistes, voire absents, avec des aplats de couleur, les visages sont souvent dans l’obscurité, le trait semble imprécis, presque bâclé, bref, le graphisme peut faire reposer le livre. Il faut franchir le pas, lui laisser le temps de vous imprégner afin de percevoir toute la force d’évocation de ce dessin totalement au service de l’ambiance de l’histoire. Le cadrage, basé sur de nombreux gros plans, est extrêmement cinématographique et donne du rythme à la lecture.
Vous n’aimez que les policiers à énigmes, passez votre chemin. Pour les autres, venez, c’est violent, pas rassurant sur la nature humaine, pas moral pour un sou, mais Dieu que c’est bon !