Turf nous invite à découvrir le New-York des années 20 alors que l’alcool y était prohibé, ouvrant la voie au développement des gangs trouvèrent dans la contrebande et la fabrication d’alcool une façon de développer leur empire du crime. A l’instar du whisky dans les speakeasies, l’argent coulait à flot, permettant aux mafias d’arroser largement politiques et forces de l’ordre, s’assurant ainsi une tranquillité relative. Susie Randall est une journaliste ambitieuse et téméraire qui fraye dans le sillage d'Eddie Falco, un inquiétant mafieux qui tient dans sa main élus et policiers. Assisté du photographe Dale, elle espère comprendre ce qui se trame dans l’ombre. Car l’équilibre précaire qui régnait entre les différents gangs semble en passe de voler en éclat alors que les Dragonmir nouveau groupement mafieux venu du vieux continent, semble fermement décidé à se tailler la part du lion, semant la mort chez les mafieux en place.
Elle apprendra à ses dépend que les Dragonmir sont des strigoi, mot d’origine roumain désignant les vampires. Eux même sont déchirés par une guerre fratricide opposant Stefan (manipulé par un ancien qui souhaite instaurer une nouvelle ère qui verra les vampires asservir l’humanité) et son frère, l’Aîné, qui préfère que les immortels continuent de vivre dans les ténèbres, en marge de l’humanité.
La rencontre de ces deux univers antinomiques prend étrangement bien mais tout se complique lorsque, l’espace d’une planche, le lecteur médusé assiste à un combat spatial des plus incongrus. Simple procédé stylistique (« pendant ce temps, à Verra Cruz… ») ou réelle incursion d’Extra-terrestre dans une histoire déjà dense et complexe? Le mystère est levé quelques pages plus loin : les E.T. auront leur partition à jouer dans le déroulement de cette histoire…
Jonathan Ross, acteur, présentateur, scénariste et producteur ajoute une corde à son arc en signant avec
Turf son premier comic. Regroupant les six tomes de la version originale en deux élégants albums, les éditions Emanuel Proust permettent au plus grand nombre de découvrir cette ovni étrange et jubilatoire qui se trouve à la croisée des genres, mélangeant allégrement histoires mafieuses (avec ses putes, ses flics ripoux, ses élus corrompus, ses trafics et ses règlements de compte) et vampiriques (rongés par des luttes internes), saupoudrant le tout d’un fond de space-op joliment esquissé. Sans jamais se prendre au sérieux, Ross tisse un récit pulp, épique et sanglant qui se conclut sur un final dantesque, le tout servi par le dessin nerveux et le découpage dynamique d’un Tommy Lee Edwards particulièrement inspiré.
Le récit choral est particulièrement bien mené, rehaussé par des dialogues ciselés qui ne manquent pas de mordant (
) et de cynisme, et par une voix off obsédante qui apporte au récit sa coloration si savoureuse. Chaque chapitre se clôt sur une planche annonciatrice des évènements remarquables du chapitre suivant, tenant ludiquement le lecteur en haleine…
Turf est une mini-série audacieuse et jubilatoire qui mélange les genres et jouent des poncifs en les détricotant pour tisser une trame improbable mais incroyablement prenante… Un OVNI du neuvième art à consommer sans modération…